Avec des prix moyen de 10-15 €/bouteille et une croissance des volumes de +5,9 % en 2024, les crémants français séduisent face à la hausse des prix du champagne.

En résumé

Les crémants français connaissent un essor important dans un contexte où le champagne enregistre une chute de consommation et des hausses de prix liées aux rendements réduits. En 2024, les ventes de crémants ont progressé de +5,9 % à 114,5 millions de bouteilles, alors que le champagne accusait un recul d’environ -10 % sur certains marchés. Le prix du champagne d’entrée de gamme augmente sensiblement en 2025, justifiant l’intérêt pour des bulles régionales à tarif accessible (souvent entre 10 et 15 €/bouteille). Les régions d’Alsace, de Loire, de Bourgogne et de Bordeaux voient leurs volumes de crémant augmenter, à l’export comme en France. Cette dynamique s’inscrit comme une stratégie de relance pour les filières locales et une réponse à la crise globale des vins premium.

Le contexte actuel du champagne et l’opportunité pour le crémant

Depuis 2023-2024, la filière du champagne est confrontée à une contraction des volumes : l’organisme de la région a fixé pour 2025 un rendement de 9 000 kg/ha seulement, soit un des niveaux les plus bas jamais enregistrés, ce qui devrait conduire à une très faible production d’environ 255 millions de bouteilles. Ce rationnement contribue à une hausse marquée des prix, renforcée par la montée des coûts de verre, d’étiquettes et de logistique. Parallèlement, les attentes des consommateurs changent : la demande pour des effervescents premium ralentit dans certain pays et laisse la place à des alternatives plus accessibles. Dans ce cadre, les crémants français bénéficient d’un double effet : ils s’affichent comme des vins effervescents élaborés selon la « méthode traditionnelle », tout en offrant un positionnement tarifaire plus modéré. Cette alternative trouve un écho particulier auprès d’un public qui recherche la « finesse bulleuse » sans payer le prix fort du haut segment.

L’essor des crémants français : chiffres et territoires

La filière des crémants en France – qui regroupe huit AOP (Alsace, Bourgogne, Bordeaux, Die, Jura, Limoux, Loire, Savoie) – affiche une croissance stable. En 2024, les ventes atteignent 114,5 millions de bouteilles, soit +5,9 % par rapport à 2023. Entre 2016 et 2024, la progression cumulée dépasse +47 %. En volume, la récolte est estimée à environ 887 931 hectolitres (soit approximativement 118 millions de bouteilles si 1 hl ≈ 133,33 bouteilles), malgré un recul de 15 % par rapport à l’année record précédente. Sur les marchés domestiques, les crémants réalisent environ 60 % des ventes en France, 40 % à l’export. L’Alsace se positionne en tête : ~40,9 millions de bouteilles vendues en 2024, suivie par la Loire (~26,7 millions) et la Bourgogne (~22,3 millions). En outre, l’Alsace a engagé des investissements industriels massifs : un site de stockage de 6 000 m² pour 12 millions de bouteilles, afin de suivre la croissance du segment. Ces données confirment que les crémants sont bien plus qu’un créneau marginal : ils captent une part structurante du marché des effervescents.

L’accessibilité tarifaire et le positionnement marché

L’un des atouts majeurs des crémants français est leur tarif abordable. Si le champagne d’entrée de gamme monte nettement, tiré par les contraintes de production et la rareté, les crémants s’affichent souvent entre 10 et 15 €/bouteille pour les cuvées grand public, selon région et format. Ce positionnement permet de toucher des consommateurs sensibles au rapport qualité-prix. Par exemple, dans la grande distribution, les crémants ont généré un chiffre d’affaires de 190,4 millions d’euros entre février 2024 et février 2025, en hausse de +4,5 % en valeur et +2,9 % en volume. Le crémant devient une bulle alternative crédible. En outre, la diversité des terroirs et des cépages (pinot blanc, chardonnay, pinot noir, riesling selon région) apporte un argument qualitatif, pas uniquement tarifaire. Pour les vignerons, cette dynamique permet de valoriser des volumes tout en limitant la pression sur le prix médian.

Les enjeux qualitatifs et techniques du crémant

Pour s’imposer durablement, le crémant a dû rejoindre une exigence technique proche de celle du champagne : vendanges manuelles ou très sélectives, méthode traditionnelle (seconde fermentation en bouteille), vieillissement sur lattes. Le crémant-de-Bourgogne a ainsi été salué pour sa montée en qualité : cuvées millésimées, mentions « Grand Éminent », etc., avec des producteurs qui revendiquent une élaboration de haut niveau. Cette orientation qualité renforce la crédibilité du produit. Sur le plan logistique et industriel, des investissements sont réalisés : par exemple, en Alsace, la maison Arthur Metz a engagé 7 millions d’euros pour un nouveau bâtiment destiné aux crémants, avec capacité de 12 millions de bouteilles, ce qui représente environ 25 % du volume annuel de l’appellation Alsace. Cette réalité industrielle prouve que le segment est un vecteur de croissance pour le vignoble régional.

Les défis à relever et les perspectives

Même si la dynamique est favorable, plusieurs défis restent à traiter. La forte croissance des crémants impose une vigilance sur la cohérence des volumes et une pression sur la qualité. Le prix médian doit rester attractif tout en couvrant des coûts structurels. Le marché export doit être consolidé : bien que la part export ait atteint 40 % des volumes, certains marchés sont sensibles à la concurrence internationale, aux droits de douane ou aux effets de change. Enfin, la sensibilisation du consommateur reste un enjeu : faire reconnaître la légitimité du crémant comme bulle raffinée – et non « mousseux d’entrée » – est essentiel. Les producteurs devront articuler innovation (formats, packagings, communication) et durabilité (gestion des sols, matériaux légers, empreinte carbone) pour capter les nouvelles attentes éthiques et environnementales.

L’impact sur la filière champagne et les vins effervescents

L’essor des crémants influence directement la filière champagne. Alors que le champagne restreint ses rendements pour maintenir la rareté et justifier des prix élevés, le crémant propose une voie alternative : maintien des volumes, tarification plus accessible, et repositionnement d’une partie de la demande vers l’effervescence « grand public ». Cette dynamique peut relâcher la pression sur le segment des « bulles luxe » et offrir une sortie par le bas pour les consommateurs qui se détournent des prix trop élevés. Par ailleurs, le succès du crémant contribue à la diversification des vins effervescents français et à la résistance de la filière face à la baisse de consommation des vins rouges premium ou des grands crus.

Stratégies recommandées et leviers de croissance

Pour que le crémant confirme sa place sur le marché, plusieurs leviers peuvent être activés :

  • Amplifier la communication sur le prix accessible, en séparant clairement le crémant du « mousseux générique » et en valorisant son terroir et méthode.
  • Développer des formats adaptés (75 cl mais aussi 37,5 cl, bag-in-box, etc.) afin de s’adresser à des moments de consommation variés (apéritif, convivialité, export).
  • Poursuivre l’orientation « durabilité » : en mettant en avant l’agriculture raisonnée ou bio, les matériaux d’emballage allégés, la compensation carbone.
  • Renforcer l’export sur des marchés émergents et des circuits premium-accessible, où le rapport qualité/prix est clé.
  • Optimiser la chaîne logistique pour maintenir une tarification compétitive : coopératives, négoce, alliances régionales.

Cette approche permettrait non seulement de consolider la part du crémant en France (à ce jour ~25 % du marché des effervescents selon certains experts) mais aussi d’apporter des volumes stables et rentables aux producteurs.

Une transition stratégique pour le vignoble français

L’essor des crémants constitue plus qu’une simple tendance de marché : c’est une réponse stratégique à la tension croissante sur les effervescents, suite à la contraction du premium, à la montée des prix et à l’évolution des habitudes de consommation. Pour les vignobles français, cette transition vers des vins effervescents accessibles et qualitatifs permet de mieux équilibrer leurs portefeuilles, de sécuriser des débouchés et de renforcer leur résilience. Cela dit, l’équilibre devra être trouvé entre volume et qualité, entre prix et image, pour que le crémant ne se voie pas cantonné à un rôle second, mais affirme son statut. A terme, en misant sur sa diversité, son ancrage territorial, et son rapport valeur/prix, le crémant est bien placé pour devenir un acteur majeur de l’effervescence française.

Cours d’oenologie est un magazine indépendant.

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