Face à une consommation qui baisse et à des vignobles qui se contractent, l’industrie viticole mondiale doit innover et proposer des vins abordables pour se relancer.

En résumé

L’industrie viticole mondiale traverse une phase critique : la surface des vignobles recule, la production chute et la consommation continue de fléchir. En 2024, la surface estimée à 7,1 millions d’hectares a diminué de 0,6 % sur un an et la production se situe autour de 225,8 millions d’hectolitres, soit une baisse de 4,8 %. Dans le même temps, la consommation globale atteint environ 214 millions d’hectolitres, un niveau inédit depuis 1961. En France, une contraction semblable à celle ressentie en Italie se profile : volumes en recul, marché intérieur fragile, pression des coûts et du climat. Les experts y voient un tournant vers la durabilité, l’innovation et la création de vins abordables comme clé pour éviter un effondrement. Une transition globale est engagée : repenser les modèles de production, réduire les prix, soigner l’environnement pour redonner de l’attractivité à ce secteur confronté à des bouleversements structurels.

Le constat global de l’industrie viticole

L’industrie viticole mondiale affiche des indicateurs préoccupants. Selon le rapport du International Organisation of Vine and Wine (OIV), la surface des vignes est passée à 7,1 millions d’hectares en 2024, en retrait de 0,6 % par rapport à 2023. Cette quatrième année de baisse consécutive traduit une tendance structurelle. La production mondiale de vin (hors jus et moûts) est estimée à environ 225,8 millions d’hectolitres, soit une chute de 4,8 % par rapport à l’an précédent, niveau le plus bas depuis 1961. En parallèle, la consommation globale recule à 214 millions d’hectolitres (-3,3 % en un an) selon les données OIV. Ces chiffres soulignent que l’offre, même si elle recule, ne parvient pas à compenser le déclin de la demande. La tension s’aggrave du fait de l’augmentation des coûts de production (énergie, intrants, transports), des phénomènes climatiques extrêmes (gel, sécheresse, orages) et d’un glissement des habitudes de consommation. En filigrane, un changement de paradigme s’impose : l’industrie viticole ne peut plus compter uniquement sur les volumes ou la tradition, elle doit répondre aux impératifs de durabilité, aux attentes d’un public plus sensible aux prix et à l’environnement, et à une concurrence accrue par les vins du Nouveau Monde et les alternatives alcool-moins généreuses.

Les causes structurelles de la crise

Le recul de l’industrie viticole ne s’explique pas par un seul facteur mais par la combinaison de plusieurs. D’abord, le changement climatique se manifeste par des épisodes de gel tardif, des sécheresses prolongées ou des averses violentes qui affectent les rendements et la qualité. Cette instabilité réduit la fiabilité des données historiques autour des millésimes et fragilise les exploitations. Ensuite, les coûts de production augmentent : intrants, énergie, main-d’œuvre, transport. Les marges se réduisent, les prix doivent monter ou le volume chuter. Troisièmement, la consommation recule dans plusieurs marchés historiques comme la France, l’Italie, les États-Unis et la Chine. Par exemple, la Chine voit une chute de consommation spectaculaire. L’âge des consommateurs change, d’autres boissons ou formats plus accessibles attirent davantage. Enfin, une pression accrue de la concurrence internationale ronge les parts des vignobles historiques européens. L’essor de vins plus accessibles, de pays émergents ou d’innovations de marché remodèle l’équilibre. Dans ce contexte, l’industrie viticole doit explorer des voies nouvelles : réduction des coûts, diversification, réponse à la demande d’approche abordable, et investissement dans les pratiques environnementales qui deviennent des critères clefs pour le consommateur moderne.

Le cas de la France et les risques de contraction

La France représente un cas d’étude important pour la crise viticole européenne. En 2024, la production française s’effondrerait autour de 36,1 millions d’hectolitres, une baisse de 23,5 % par rapport à 2023 et de 17,9 % sous la moyenne des cinq dernières années. Le marché intérieur décline depuis des décennies : certaines études indiquent qu’il a perdu plus de 80 % de son volume global depuis 1945. Les jeunes générations consomment significativement moins. En parallèle, les exportations sont fragiles, notamment dues aux fluctuations des marchés, aux barrières tarifaires, à la concurrence mondialisée. Cela rappelle la contraction que vivent les vignobles historiques italiens. Pour soutenir la filière, plusieurs voix s’élèvent en France pour promouvoir des scénarios alternatifs : encourager les vins à prix modérés, accentuer les pratiques œcologiques, valoriser la diversité des terroirs, adapter les formats et le marketing aux attentes actuelles. Le mot d’ordre est clair : sans adaptation rapide la contraction pourrait s’accentuer, menaçant la viabilité des exploitations moyennes et altérant le tissu rural que représente la viticulture.

Vers l’innovation viticole et la durabilité

Pour répondre à la crise, l’industrie viticole doit mobiliser l’innovation, qu’elle soit technologique, agronomique ou de marché. Sur le plan agronomique, l’adaptation climatique passe par le choix de cépages plus résistants, le travail du sol, la gestion de l’eau, ou même la replante de zones plus adaptées à de nouvelles conditions. Sur le plan technologique, la recherche relève son rôle (par exemple l’usage de l’intelligence artificielle pour surveiller la vigne ou optimiser l’irrigation). Sur le plan commercial, il est essentiel de proposer des vins à un prix abordable, sans sacrifier la qualité, pour capturer une demande plus large. L’éco-certification ou la réduction de l’empreinte carbone deviennent des arguments de vente importants pour le consommateur sensibilisé. En outre, la diversification des formats (bag-in-box, vins prêts à boire, vin sans alcool) permet de toucher de nouveaux profils. Les exploitations doivent également repenser leur chaîne de distribution pour réduire les coûts et maintenir des marges. Enfin, le travail collectif d’interprofessionnels, d’institutions et de viticulteurs devient indispensable pour structurer des filières durables, consolider l’innovation et accompagner la transition vers un modèle plus résilient.

L’abordabilité comme levier de relance

Un enjeu fondamental est celui de l’accessibilité tarifaire. Alors que le coût de production monte, la demande baisse, l’écart entre prix et pouvoir d’achat des consommateurs se creuse. Pour relancer l’achat, proposer des vins de qualité accessibles devient stratégique. Cela signifie repenser les appellations, les marques, les circuits de distribution. Les volumes ne peuvent plus être la seule réponse : la rentabilité doit venir de modèles optimisés. Cela passe par des coûts de production réduits (efficience agronomique, énergie, transport), par un marketing ciblé qui valorise la valeur plutôt que le prestige, et par la diversification de l’offre vers des segments « entrée de gamme premium ». En France, un nombre croissant d’acteurs réclame un soutien des politiques publiques pour promouvoir ces vins abordables, afin de renforcer le lien avec le consommateur et d’éviter le glissement vers une contraction de masse comme celle envisagée du côté italien. Le message est clair : un vin accessible au plus grand nombre peut fonctionner comme un vecteur de renouvellement pour une filière en tension.

Les pistes de consolidation et les scénarios d’évolution

Dans un contexte de crise, la consolidation des vignobles apparaît comme une réponse partielle. Certaines exploitations ferment ou sont rachetées, d’autres réduisent leur surface ou diversifient l’activité (œnotourisme, services annexes). Cette mutation rappelle la contraction historique des vignobles italiens, mais l’enjeu est d’éviter que la France et l’Europe suivent le même chemin. Le scénario d’une réduction significative de la surface plantée, d’un retrait d’exploitants ne peut être écarté. Face à cela, le positionnement doit s’appuyer sur la compétitivité, la durabilité et l’adaptabilité. Une attention particulière doit être portée aux coopératives et aux petites structures souvent les plus fragiles. Les politiques publiques ont un rôle à jouer : soutien à l’investissement durable, réduction des coûts de conversion, promotions vers les marchés émergents ou vers des consommateurs plus jeunes. Le futur de la filière repose sur une capacité à se transformer plutôt qu’à résister dans un modèle ancien.

Vers un nouveau modèle de viticulture mondiale

L’ensemble du secteur viticole est à un moment charnière. Le recul des volumes, la chute de la consommation et le climat économique rendent la réinvention obligée. Il ne s’agit plus uniquement de produire plus ou de vendre plus cher. Le défi est de produire mieux, plus durablement, et d’offrir des vins accessibles à une base plus large de consommateurs. Les exploitations qui sauront allier innovation agronomique, adaptation climatique, maîtrise des coûts et marketing intelligent auront une longueur d’avance. La filière française est bien placée pour jouer un rôle moteur, mais elle doit agir vite. Le virage vers la durabilité, l’abordabilité et l’efficacité va déterminer non seulement la survie de nombreuses exploitations, mais aussi la trajectoire globale de l’industrie viticole mondiale dans les années à venir.

Cours d’oenologie est un magazine indépendant.

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