Bouchard Père & Fils opère une scission stratégique (Domaine des Cabottes)
La maison centenaire Bouchard Père & Fils se restructure : 35 ha de crus prestigieux forment le Domaine des Cabottes, les 60 ha restants restent sous la marque historique.
En résumé
Depuis son acquisition par Artémis Domaines en 2022, Bouchard Père & Fils entreprend une refonte profonde de son modèle. À l’automne 2025, le groupe dévoile la création du Domaine des Cabottes, qui regroupe 35 hectares de ses vignes les plus prestigieuses (Puligny-Montrachet, Beaune, Meursault, Volnay, Corton) pour être vinifié à partir du millésime 2023 au Château de Puligny-Montrachet. Le reste des vignes (environ 60 ha) demeure sous le nom Bouchard Père & Fils, vinifié à Savigny-lès-Beaune. Les caves historiques de Beaune garderont en réserve la collection des anciens millésimes. Cette scission répond à une volonté d’apporter une vraie clarté de gamme, de distinguer les crus d’exception et d’optimiser les process techniques et les discours marketing. Le défi sera de réussir la transition, préserver la cohésion des marques et confirmer la qualité sur les deux entités.
Le contexte de l’acquisition par Artémis Domaines
Artémis Domaines, filiale viticole du groupe Artémis (famille Pinault), a pris le contrôle de Bouchard Père & Fils fin 2022, dans le cadre d’un rachat global des actifs de la maison Henriot (Champagne & Bourgogne). Depuis cette acquisition, la stratégie du groupe indique un recentrage sur des domaines plus « produit » que « négoce ». Le projet de reconfiguration de Bouchard s’inscrit dans cette logique : distinguer les terroirs premium pour leur donner un positionnement propre, et clarifier l’offre pour les amateurs. Le mouvement a été matérialisé par la décision de scinder le domaine en deux entités autonomes, avec des équipes spécialisées et des process adaptés. L’intention est de libérer les climats les plus prestigieux de la maison Bouchard pour leur offrir un écrin dédié.
La genèse et les motivations de la scission
La décision de créer le Domaine des Cabottes répond à deux constats internes selon Frédéric Engerer (directeur général d’Artémis Domaines) : d’un côté, la tradition Bouchard était encore perçue comme une maison de négoce, d’autre part la surface globale de près de 100 hectares répartis sur une centaine de parcelles rendait difficile une gestion ultra-fine de chaque micro-terroir. En dissociant 35 ha de climats « iconiques » pour les regrouper dans un domaine à part, on cadre mieux l’exigence qualitative, la cohérence de gamme, la visibilité pour les clients et la logique technique. Ce nouveau domaine accueillera une vinification dédiée, un élevage spécifique et un message différencié. Les parcelles concernées comprennent les grands crus de Puligny-Montrachet et de Corton, les principaux premiers crus de Meursault, le Volnay Premier Cru Les Caillerets, et les climats de Beaune dont la Vigne de l’Enfant Jésus. Le nom « Cabottes » renvoie aux petites cabanes de pierres sèches typiques de la Bourgogne, emblème de l’ancrage historique de la maison. Le millésime 2023 sera le premier commercialisé sous ce label, dès 2026. Tous les parcelles du Domaine des Cabottes seront converties à la biodynamie à partir de 2026.
Le périmètre des deux domain
Le Domaine des Cabottes : 35 hectares
Le domaine nouveau rassemble 35 ha de vignes stratégiques, sur les terroirs les plus prestigieux détenus jusqu’ici par Bouchard. Il dispose, pour l’élaboration des vins à venir, d’un site de vinification au Château de Puligny-Montrachet, en cours d’adaptation. Le Domaine des Cabottes vise une typicité affirmée, une sélection stricte des grappes, une vinification parcellaire et un élevage ultra soigné. Ce domaine sera en mesure de valoriser des cuvées haut de gamme, avec une identité forte. Le programme prévoit aussi des investissements sur les installations, le matériel de tri optique, les cuves thermorégulées et des caves adaptées pour l’élevage long.
Le Domaine Bouchard Père & Fils (restant)
Les 60 ha restants continueront sous le nom « Bouchard Père & Fils ». Ces parcelles couvrent encore des appellations de prestige (Beaune, Meursault, Pommard, Volnay), mais dans des climats moins iconiques ou moins extrêmes. La vinification se fera à Savigny-lès-Beaune, dans les installations existantes. Cette entité conservatrice devra renforcer son positionnement, clarifier sa gamme et préserver son image historique, tout en acceptant une moindre pression sur certains climats. L’objectif est d’éviter une dilution d’identité. Elle bénéficiera de la notoriété de la marque, mais devra travailler à redéfinir son discours autour de la qualité accessible et de la constance.
Conservation des anciens millésimes et patrimoine historique
La collection historique de millésimes restera abritée dans les caves historiques de Beaune. Bouchard s’engage à ne pas toucher à ce patrimoine immatériel, qui constitue un capital de confiance pour les collectionneurs et amateurs. Cette réserve représente l’âme de la maison, un lien vers son passé. Elle pourra être mobilisée pour des opérations spéciales (verticales, ventes aux enchères, numéros patrimoniaux). La conservation, la traçabilité et la valorisation de ces vins sont stratégiques pour les deux entités, chacune pouvant puiser dans ce stock pour affirmer sa légitimité.
Défis techniques, organisationnels et de transition
La scission va nécessiter des ajustements profonds. Il faudra séparer les outils de production, recruter ou réallouer des équipes, concevoir des process logistiques indépendants (vinification, élevage, stockage). Chaque domaine devra absorber ses coûts fixes et définir son modèle rentable. Il faudra veiller à ce que les marchés (importateurs, cavistes) comprennent le changement, évitant les confusions. Le défi est aussi qualitatif : le Domaine des Cabottes devra livrer des vins à la hauteur des attentes premium, sous peine de décevoir l’anticipation. Le Domaine Bouchard devra prouver qu’il peut continuer à tirer son épingle du jeu sans ses meilleures parcelles. Le calendrier de conversion à la biodynamie, la transition des certifications bio ou organiques, la modernisation du chai de Puligny-Montrachet sans rupture de qualité sont autant de points sensibles.
Risques et opportunités de la nouvelle architecture
L’opération peut isoler les meilleurs climats dans un label « premium » valorisé, ce qui valorise les vins du Domaine des Cabottes. Cela peut aussi éclairer l’offre, mieux segmenter les prix, attirer les collectionneurs et renforcer la marge. Du point de vue de la marque Bouchard, c’est un pari de redonner du lustre tout en acceptant de perdre sa panoplie la plus prestigieuse. Le risque existe de fracture dans l’image : certains puristes pourraient considérer que Bouchard se « déleste » de ses joyaux. Il faudra une communication claire, une transition sans faute technique et un timing bien maîtrisé. L’autre opportunité est de stimuler l’investissement, focaliser les efforts qualitatifs et clarifier la gamme pour les marchés internationaux, qui apprécient la clarté des marques.
Perspectives et enjeux futurs
À partir de 2027 (millésime 2023 commercialisé en 2026), les deux entités entreront dans leur rythme propre. Le succès dépendra de la perception par les marchés, de la constance qualitative, de la cohésion narrative et de la capacité à investir. Si le Domaine des Cabottes parvient à imposer sa signature, il pourra devenir un des fleurons de la Côte de Beaune. Pour Bouchard, la tâche sera de rester visible, crédible, et compétitif sans ses meilleurs terroirs. La double structure pourrait devenir un modèle dans la viticulture de prestige : distinguer ce qui mérite d’être valorisé à l’extrême et ce qui reste une production plus large mais de grande qualité. L’enjeu est aussi pour le vignoble bourguignon : la stratégie montre qu’on peut dépasser le modèle de l’agrégation de parcelles pour réinventer une maison avec des domaines différenciés.
Ce nouvel acte stratégique est audacieux. Il engage deux identités à la fois solidaires et autonomes, dans un cadre technique repensé. Le Domaine des Cabottes et Bouchard Père & Fils auront chacun leur destin, mais resteront liés par leur héritage commun. Leur réussite se mesurera à l’adhésion des amateurs, à la valeur des vins, et à la cohérence des deux marques dans l’arène exigeante du vin de grand cru.
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