À Pépieux, Massamier La Mignarde mise sur la vitiforesterie. Zéro intrant depuis trois ans, biodiversité accrue, sols plus vivants et vins toujours précis.

En résumé

Vingt ans après le sacre de son Domus Maximus, primé en 2005 à Londres, le château Massamier La Mignarde (Aude) accélère sa transition écologique avec la vitiforesterie. Le domaine plante des arbres au cœur des rangs, diversifie les essences, limite l’érosion et réactive la vie des sols. Depuis trois campagnes, les vignes sont conduites sans produits phytosanitaires ni engrais, avec un suivi agronomique serré et une vinification attentive. Les premiers indicateurs sont probants : hausse marquée de l’activité biologique, microclimat modéré en période chaude, vendanges tenues à maturité malgré des étés plus secs. Cette stratégie s’inscrit dans un contexte régional plus chaud d’environ +2 °C et s’appuie sur des références techniques de l’INRAE et de la filière. Elle place le domaine audois parmi les pionniers français d’une agroforesterie viticole pensée pour la résilience climatique, sans renoncer à l’exigence gustative ni à l’identité du Minervois.

La victoire de 2005 et le tournant agronomique

La consécration d’un rouge du Minervois

En 2005, la cuvée Domus Maximus du château Massamier La Mignarde est consacrée « meilleur vin rouge » lors d’une compétition internationale à Londres. Ce 100 % languedocien, bâti sur syrah et grenache, installe durablement le nom de Pépieux sur les cartes des grandes tables. Vingt ans plus tard, l’étiquette reste la vitrine du domaine, servie à l’Élysée et au Sénat, et vendue à l’export. Cette notoriété conforte une trajectoire singulière : investir dans la vigne et dans l’arbre pour sécuriser l’avenir des raisins, du sol à la bouteille.

La décision d’intégrer l’arbre à la vigne

Le cap est franchi après un millésime 2018 marqué par le mildiou. Le vigneron Franz Vènes revoit ses leviers agronomiques : couverture végétale permanente, arrêt des désherbants, retour de l’arbre au rang. L’objectif est clair : recréer un agro-écosystème capable d’encaisser chaleur, vent et sécheresse, tout en réduisant au maximum les intrants. L’arbre devient tuteur pour des ceps conduits en hauteur, brise-vent, pompe à eau, capteur de carbone et source de biomasse. Le dispositif se déploie par îlots et haies, avec des essences adaptées au climat méditerranéen.

Le cadre environnemental et les enjeux climatiques

Le vignoble face à la chaleur et au stress hydrique

En Occitanie, le réchauffement moyen par rapport au début du XXe siècle est proche de +2 °C. Les épisodes de canicule se multiplient et les sols restent secs plus longtemps l’été. Des projections nationales évoquent des pointes locales proches de 50 °C en seconde moitié de siècle dans les scénarios défavorables. Pour une culture pérenne comme la vigne, ces valeurs posent trois défis concrets : préserver l’acidité des moûts, contenir la montée du degré potentiel et maintenir le rendement commercialisable sans sacrifier la qualité sanitaire.

La réponse vitiforestière

La vitiforesterie apporte des services écosystémiques cumulés. L’ombre portée limite les pics de température foliaire ; l’évapotranspiration des arbres humidifie l’air de parcelle ; les racines profondes décompactent et restituent des éléments minéraux via la litière. Les haies freinent le vent, réduisent l’évaporation et protègent la faune auxiliaire (oiseaux, chauves-souris, insectes parasitoïdes). Sur plusieurs expérimentations françaises, on observe des écarts de quelques dixièmes à 1 °C au plus chaud de la journée sous influence arborée et une meilleure stabilité hydrique en sol couvert. Ce capital tampon se traduit en cuverie par des équilibres plus nets : pH préservés, alcool mieux intégré, tanins moins asséchants.

La mise en œuvre à Massamier La Mignarde

La topographie et les altitudes comme atout

Le domaine s’étend au pied de la Montagne Noire, de 70 à 370 m d’altitude. Ce relief varié crée des amplitudes thermiques jour-nuit favorables à la fraîcheur aromatique. Les vieilles terrasses alluviales accueillent syrah, mourvèdre et carignan ; les coteaux argilo-calcaires portent cabernet-sauvignon, grenache et cinsault. L’arbre s’insère selon la vocation de chaque parcelle : alignements dans les zones ventées, bosquets en bas-fonds pour capter l’eau, lisières élargies en lisière de garrigue.

Les essences retenues et l’architecture des plantations

Le plan associe une diversité d’espèces : chênes, érables, oliviers, grenadiers, lauriers, poiriers, peupliers et cerisiers. Ce panier réduit le risque sanitaire, étale les floraisons, nourrit pollinisateurs et auxiliaires, et fournit une biomasse régulière pour le mulch. Au printemps 2025, 357 arbres supplémentaires sont plantés. D’autres campagnes ont déjà vu l’installation de centaines de jeunes plants et de haies, parfois en partenariat avec des structures de financement participatif climatique. Les branches issues de la taille sont laissées au sol pour former un bois raméal qui nourrit champignons et micro-faune.

La conduite sans intrants et ses effets

Depuis trois ans, le vignoble est piloté en zéro intrant : aucun fongicide, aucun herbicide, aucun insecticide, ni cuivre, ni soufre, ni engrais chimiques, ni produits de biocontrôle. Cette décision s’accompagne d’une observation quasi quotidienne : noter l’état du feuillage, ajuster l’épamprage, piloter l’aire foliaire utile, caler la date de vendange au plus juste. Des comptages réguliers témoignent d’une forte remontée de la faune édaphique (vers de terre multipliés par quatre sur certaines zones) et d’une structure de sol plus grumeleuse. La vinification, elle, s’adapte : extractions douces, sulfitages parcimonieux, élevages précis pour conserver la biodiversité aromatique du raisin.

Les indicateurs techniques et économiques

La qualité des jus et le style en cave

Sur les cuves pilotes, la matière est plus mûre à degré identique grâce à une photosynthèse prolongée sous ombrage. Les acidités tiennent mieux, les pH dérivent moins en fin d’été, et la sensation saline gagne en netteté. Les rouges affichent une trame plus fraîche, des tanins plus fins, une aromatique de garrigue et d’olive noire soulignée par des amers nobles. Les blancs et rosés gagnent une tension citronnée appréciée sur des millésimes chauds. La signature gustative du Minervois reste lisible, avec une maturité moins « cuite ».

Les rendements et le cap budgétaire

La bascule vers l’aggradation des sols s’est accompagnée d’un creux de production, assumé et encadré par une montée de la valeur bouteille. La suppression des intrants économise 200 à 500 € par hectare en achats de produits et de prestations, partiellement réaffectés à la plantation et à la taille des arbres. L’ambition est la stabilisation des rendements sur un plateau viable, avec une résilience supérieure lors des années extrêmes. À moyen terme, l’objectif est un coût de production global maîtrisé par la baisse des interventions mécaniques et l’auto-fertilité du sol.

La place de Massamier dans la dynamique française

La progression du bio et des démarches agroécologiques

La France viticole a accéléré sa conversion : environ un cinquième du vignoble est certifié ou en conversion, selon les millésimes statistiques. Le Languedoc-Roussillon figure parmi les locomotives, porté par des domaines qui testent couverts permanents, enherbement modulé, confusion sexuelle et réduction des pesticides drastique. La vitiforesterie ajoute une strate structurante, encore rare mais appelée à s’étendre avec l’appui des instituts techniques et des programmes d’étude.

Les coopérations scientifiques

Le suivi de Massamier intéresse des équipes de recherche françaises. Les questions portent sur le microclimat intra-parcellaire, la dynamique hydrique, la faune auxiliaire et l’empreinte carbone nette. Les protocoles envisagés vont des capteurs thermiques de canopée à la métagénomique des sols, en passant par des essais comparatifs d’alignements d’essences. Cette coopération doit produire des données reproductibles, utiles à d’autres bassins viticoles méditerranéens.

Les vins à l’épreuve du marché

Les cuvées emblématiques sous nouvelle donne

Domus Maximus reste la locomotive. Le style évolue à la marge : extraction plus douce, fruit plus droit, boisé plus intégré. Les cuvées de terroir gagnent en relief aromatique, avec des amers d’olive et de peau d’agrume qui allongent les finales. Les millésimes chauds sont mieux tenus par l’ombre et par des vendanges matinales. Le domaine assume un positionnement prix corrélé à la rareté et au travail à la parcelle, sans multiplier les références.

La réception par la restauration et l’export

Les sommeliers apprécient la lisibilité du message : résilience climatique, zéro intrant, altitudes de la Montagne Noire et précision du fruit. En salle, l’argument ne sert pas d’alibi : la preuve est au verre, sur des accords avec agneau de lait, pigeon, thon rouge ou légumes rôtis au fenouil. À l’export, le récit « arbre-vigne » parle aux marchés sensibles aux enjeux de santé et de goût. La demande reste exigeante ; la cohérence technique prime sur l’effet d’annonce.

La portée d’un modèle audois

Ce qui se joue à Pépieux dépasse un domaine. En associant l’arbre et la vigne, Massamier La Mignarde réactive un héritage méditerranéen ancien et construit une viticulture de précision, sobre en intrants et robuste face aux aléas. Les chiffres comptent : centaines d’arbres plantés, budgets déplacés de la chimie vers la biodiversité, degrés maîtrisés, pH plus stables. Mais l’essentiel est ailleurs : la capacité à produire bon, année après année, dans un climat plus rude. Si les prochaines études confirment les premiers signaux, l’agroforesterie viticole pourrait devenir un standard des terroirs secs. Les vignerons y gagneraient des sols vivants, les buveurs des vins plus nets, et les paysages des campagnes à nouveau ombrés.

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Vitiforesterie en Aude : Massamier La Mignarde change d’ère