Un accord européen sur la viticulture durable validé à Bruxelles
La Commission européenne approuve un accord durable entre vignerons français, avec exemption antitrust, pour soutenir la transition agroécologique du secteur.
Un cadre européen validé pour une coopération environnementale
La Commission européenne a officiellement validé un accord de coopération durable entre les vignerons français. Ce texte, approuvé le 18 juillet 2025, marque une inflexion réglementaire importante : il permet aux producteurs de s’organiser collectivement pour appliquer des pratiques environnementales exigeantes, sans être sanctionnés au titre des règles de concurrence. L’accord bénéficie ainsi d’une exemption ciblée au droit antitrust européen, conformément au règlement 2021/2115 relatif à la politique agricole commune.
Jusqu’à présent, les ententes entre producteurs, même sur des sujets environnementaux, étaient jugées à risque dès lors qu’elles pouvaient influencer l’offre ou les prix. Ce verrou réglementaire empêchait toute coopération formelle sur des sujets pourtant communs à l’ensemble de la filière, comme la réduction des intrants, la préservation des sols ou la mise en place de certifications environnementales collectives.
Avec cette décision, la Commission entérine la légitimité d’une coordination verticale et horizontale dans la viticulture, à condition qu’elle vise un objectif environnemental mesurable. Cela ouvre la voie à des stratégies mutualisées, que ce soit en matière de transition vers l’agriculture biologique, d’investissement dans des matériels propres ou de conversion à la Haute Valeur Environnementale (HVE). Le secteur viticole devient ainsi le premier secteur agroalimentaire français à obtenir ce feu vert sur un accord de coopération durable structuré.
Un mécanisme juridique inédit pour le secteur viticole
Une exemption antitrust encadrée par Bruxelles
L’exemption antitrust accordée par la Commission repose sur l’article 210a du règlement OCM unique (n°1308/2013), modifié dans le cadre du Pacte Vert européen. Ce dispositif autorise des accords sectoriels visant à répondre aux enjeux climatiques ou à protéger la biodiversité, à condition qu’ils ne restreignent pas indûment la concurrence ni ne nuisent aux consommateurs.
Dans le cas de la viticulture française, l’accord encadre les engagements suivants :
- Réduction concertée de l’usage de pesticides de synthèse, avec objectif chiffré à 50 % d’ici 2030,
- Généralisation des enherbements inter-rangs,
- Plan collectif de conversion HVE ou bio,
- Gestion commune des effluents et des déchets agricoles,
- Usage prioritaire de matériels limitant les émissions de CO₂.
La mise en œuvre devra s’accompagner de reportings techniques réguliers transmis aux autorités nationales et à Bruxelles. Toute entreprise participant à l’accord devra démontrer sa contribution aux objectifs environnementaux, sous peine de voir l’exemption révoquée.
Cette validation ne constitue donc pas une autorisation libre. Elle introduit un cadre rigoureux, mais jugé proportionné par les représentants du secteur.
Une coordination entre acteurs économiques structurée
L’accord a été initié par plusieurs interprofessions, dont Inter Rhône, le Comité Champagne et l’Interprofession des Vins de Bordeaux, en lien avec les fédérations de vignerons et les coopératives. Ces entités vont pouvoir mutualiser certaines démarches jusqu’ici traitées de manière isolée, comme les audits HVE, les formations à la pulvérisation confinée ou les investissements dans des stations de traitement des effluents.
Cela devrait notamment favoriser les petites exploitations, souvent freinées par les coûts d’accès aux certifications environnementales. À titre d’exemple, le passage en HVE nécessite un audit externe facturé entre 500 et 800 euros, sans compter les dépenses de mise en conformité.
Les coopératives et les groupements de producteurs pourront désormais créer des pôles techniques partagés, ce qui permettra de lisser les charges et d’améliorer le taux de conversion à l’échelle régionale.
Une opportunité pour accélérer la transition agroécologique
Une filière en retard sur les objectifs environnementaux
La viticulture française accuse un retard structurel en matière de transition environnementale, malgré des efforts visibles. En 2024, seuls 22 % des hectares de vigne étaient certifiés HVE, et 14 % en bio, selon l’Agence Bio. Les objectifs nationaux visent pourtant 25 % en bio d’ici 2030, avec une réduction de 50 % des produits phytosanitaires.
Les raisons de ce décalage sont multiples :
- Une hétérogénéité des territoires viticoles,
- Des contraintes climatiques croissantes (sécheresse, mildiou précoce),
- Des coûts d’adaptation élevés,
- Un accès complexe aux aides PAC dans les petites structures.
L’accord validé par la Commission permet de créer des leviers collectifs pour dépasser ces blocages. Il sera désormais possible de bâtir des stratégies à l’échelle de bassins entiers, avec des outils communs, un calendrier aligné, et des financements partagés.
Une reconnaissance européenne du rôle pilote de la viticulture
La viticulture française est souvent perçue comme un secteur à haute visibilité environnementale, en raison de son lien étroit avec les territoires et du poids culturel de ses appellations. Le choix de la Commission européenne d’approuver cet accord reflète une volonté politique d’en faire un secteur pilote pour la mise en œuvre du Pacte Vert.
À terme, d’autres filières pourraient s’inspirer de ce mécanisme, notamment l’arboriculture et les grandes cultures, où des initiatives similaires émergent mais peinent à franchir les verrous juridiques liés au droit de la concurrence.
La prochaine étape concernera la standardisation des outils de mesure des gains environnementaux. Le secteur devra produire des indicateurs robustes, comparables à l’échelle européenne, pour démontrer l’efficacité des engagements. Des travaux sont en cours avec l’INRAE et l’ADEME pour établir des référentiels agronomiques précis.
Des implications commerciales, réglementaires et sociales
Une montée en exigence qui impactera les débouchés
Le développement de pratiques durables dans le vignoble pourrait modifier à moyen terme les conditions d’accès aux marchés, notamment en grande distribution ou à l’export. Plusieurs acheteurs, en France comme à l’étranger, exigent déjà des labels environnementaux comme prérequis. En Allemagne, certains distributeurs ne référencent plus que des vins HVE ou équivalents.
Ce changement pourrait pénaliser les producteurs qui restent à l’écart du mouvement. L’accord validé par la Commission permet donc aussi d’éviter une segmentation brutale du marché, en assurant une transition collective, avec des critères homogènes.
À l’export, certains marchés comme le Canada, le Danemark ou les Pays-Bas imposent des critères de traçabilité environnementale, que seules les exploitations certifiées peuvent fournir. L’accord permettra de garantir ces exigences à grande échelle, renforçant la compétitivité des vins français face aux vins italiens ou espagnols mieux organisés sur ces sujets.
Une redistribution des efforts au sein de la filière
L’accord soulève néanmoins plusieurs questions économiques. Qui financera les investissements requis ? Comment répartir l’effort entre les producteurs, les négociants, les coopératives et les metteurs en marché ? Ces discussions devront être tranchées dans chaque région, sous peine de freiner l’adhésion volontaire.
Certains syndicats craignent une nouvelle charge administrative ou une complexité accrue pour les petites exploitations. Le ministère de l’Agriculture a annoncé que des crédits spécifiques PAC seraient mobilisés pour accompagner la démarche, à hauteur de 80 millions d’euros sur trois ans. Reste à voir comment ces fonds seront distribués.
