La rencontre de Vega Sicilia trace la voie du vin européen
À Vega Sicilia, le « Consejo de Bodegas » d’EDA réunit des leaders pour cadrer climat, innovation et exportations. Un rendez-vous stratégique pour l’Espagne et l’Europe.
En résumé
Le 18 septembre 2025, la maison Vega Sicilia a accueilli le « Consejo de Bodegas » d’EDA Drinks & Wine Campus, un organe consultatif rassemblant dirigeants de domaines et experts pour orienter les priorités du secteur. Dans un contexte de production mondiale 2024 au plus bas en plus de 60 ans et d’une demande en repli, l’Espagne doit conjuguer adaptation climatique, innovation de procédés et repositionnement export. Les échanges ont porté sur trois axes : sécuriser la matière première face aux aléas (gestion de l’eau, sélection variétale, viticulture régénérative), accélérer l’innovation « vigne-chai-marché » (capteurs, IA, sobriété énergétique, packaging allégé, catégories no/low) et diversifier la création de valeur à l’export (montée en gamme, marchés hors UE, gestion des hausses fiscales). Vega Sicilia, pilier de la Ribera del Duero, s’affirme comme hôte légitime de ce dialogue en réunissant réseaux industriels et académiques d’EDA, et en illustrant l’enjeu : préserver la qualité, renforcer la compétitivité, et stabiliser la croissance du vin espagnol.
Le cadre et la portée de l’initiative
La tenue du « Consejo de Bodegas » chez Vega Sicilia consacre le rôle de la propriété de Valbuena de Duero comme place d’échanges structurants pour la Ribera del Duero et, au-delà, pour le vin espagnol. EDA Drinks & Wine Campus, projet impulsé par le Basque Culinary Center, a formalisé ce conseil pour relier décideurs de caves et expertise académique autour de missions claires : formation, innovation, recherche et entrepreneuriat dans les boissons. La page institutionnelle d’EDA recense les membres du « Consejo de bodegas » — parmi lesquels Pablo Álvarez (Tempos Vega Sicilia) — et pose l’ambition d’un hub de référence à Vitoria-Gasteiz et Laguardia.
Signe du moment, l’organisation a communiqué que la séance se tenait « dans une maison emblématique comme Tempos Vega Sicilia », confirmant la vocation de ce format : partager diagnostics et leviers d’action avec une représentativité nationale des appellations et des modèles d’affaires.
Le contexte de marché : production et demande sous tension
L’Organisation internationale de la vigne et du vin chiffre la production mondiale 2024 à 225,8 millions d’hl, un point bas sur plus de six décennies, tandis que la consommation mondiale recule à 214,2 millions d’hl. Cette contraction simultanée résulte d’aléas climatiques, de coûts élevés et d’une demande plus sélective.
En Espagne, la production 2024 est estimée à environ 33,6 millions d’hl, en hausse par rapport à 2023 mais encore sous la moyenne quinquennale, reflet d’une normalisation incomplète après la sécheresse. Côté commerce extérieur, la valeur des exportations 2024 progresse à 2,98 milliards d’euros, malgré un volume en repli d’environ 5 % à 1,9 milliard de litres ; la montée en gamme relative amortit la baisse.
La situation en Ribera del Duero : une matière première à sécuriser
La DO Ribera del Duero a clos la vendange 2024 sur 95 millions de kilos de raisins (-18,8 % vs 2023), dans une campagne longue (68 jours) marquée par un hiver-printemps humides puis des épisodes de gel et de grêle. Les professionnels parlent d’une « vendange des défis », mais de qualité élevée. Le vignoble cultivé atteint 26 647 ha (2024), avec plus de 5 000 viticulteurs recensés, ce qui illustre l’ampleur de l’écosystème local à protéger.
Sur le plan commercial, près de 300 des 317 caves inscrites exportent, et le prix moyen à l’export a progressé en 2024 à 13,90 €/l, signal de positionnement premium au sein de l’offre espagnole.
Le changement climatique : priorités techniques et feuille de route
Les organisations nationales ont actualisé en 2024-2029 un plan climat pour le secteur, structurant des mesures d’adaptation-atténuation : protection du vignoble, garantie de la qualité, soutenabilité économique (eau, énergie, biodiversité), financement de l’innovation. La Fédération espagnole du vin (FEV) l’a approuvé lors d’une réunion en Castille-et-León, en précisant des indicateurs de suivi et des voies de financement. ([Fev][9]) Dans l’opinion, 95 % des Espagnols soutiennent des mesures d’adaptation, ce qui crée un mandat sociétal pour investir.
Au vignoble, l’adaptation s’articule autour de leviers éprouvés : irrigation déficitaire pilotée, viticulture régénérative (couvert végétal, sols vivants), re-conception de l’architecture foliaire (ombrage, charge), choix de porte-greffes et de cépages plus tardifs ou tolérants (ex. Albillo Mayor) et montée en altitude quand c’est pertinent. Les travaux récents en Ribera du Duero sur Albillo Mayor et sur les impacts d’extrêmes climatiques sur Tempranillo éclairent les trajectoires phénologiques et les équilibres sucres-acides, utiles pour caler vendanges et oenologie.
L’innovation « vigne-chai » : capteurs, énergie, procédés et nouvelles catégories
EDA place l’innovation au cœur de son mandat : caractérisation fine des terroirs, physiologie végétale, variétés à plus faible degré, amélioration génétique, et transferts technologiques sur les boissons sans alcool. Cela suppose capteurs au champ, modélisation, fermentation maîtrisée, et sobriété énergétique au chai, avec un objectif : maintenir la signature organoleptique tout en réduisant l’empreinte.
Les axes opérationnels discutés incluent la télémétrie parcellaire (stress hydrique, pression fongique), l’automatisation sélective, la récupération d’énergie (froid, CO₂), la réduction du verre (bouteilles allégées), et le développement de gammes no/low pour adresser de nouveaux usages sans cannibaliser les cuvées historiques. L’ensemble concourt à solidifier la compétitivité et à lisser la sensibilité aux aléas.
Les exportations : risques, opportunités et repositionnement
En 2024, la valeur des exportations de vin espagnol a progressé malgré des volumes moindres, grâce à la part des vins embouteillés et à la premiumisation. Les marchés se reconfigurent : le Royaume-Uni a relevé en 2025 sa fiscalité selon le degré alcoolique, pénalisant les rouges au-delà de 12,5 % vol, ce qui pèse sur les expéditions ibériques ; à l’inverse, les États-Unis ont absorbé davantage, soulignant l’intérêt d’un mix géographique diversifié.
Pour la Ribera del Duero, la stratégie gagnante reste d’adosser la réputation de qualité à une prospection ordonnée en Asie du Sud-Est (Thaïlande, Malaisie, Philippines, Vietnam), où des missions d’acheteurs montrent un appétit croissant. Dans ce contexte, la marque Ribera del Duero a intérêt à capitaliser sur ses prix moyens élevés par litre et à structurer les assortiments par canaux : CHR haut de gamme, cavistes, e-commerce spécialisé.
Le rôle d’une maison étalon : gouvernance et cap industriel
Tempos Vega Sicilia consolide sa gouvernance et ses moyens pour la prochaine étape. La nomination de Jessica Julmy à la direction générale à partir d’août 2025 signale un accent renforcé sur le marketing international, la distribution sélective et la cohérence de portefeuille (Vega Sicilia, Alión, Pintia, Macán, Oremus). L’entreprise annonce 1,44 million de bouteilles vendues en 2024 et un objectif de 80 M€ de chiffre d’affaires en 2025, d’où l’importance d’une discipline d’allocation par marchés et millésimes.
La solidité financière du groupe — bénéfice net 2024 en hausse et distribution exceptionnelle à l’actionnaire familial — offre un coussin pour accélérer l’innovation et les investissements de résilience (eau, énergie, sites).
Les décisions de travail issues du « Consejo de Bodegas »
La gestion de l’eau et des sols
Déployer des schémas d’irrigation déficitaire pilotés par données (objectifs de rendement qualitatif, seuils de stress), combiner couverts végétaux permanents et travail du sol minimal, et mutualiser les équipements de mesure (stations météo, sondes capacitives). Les priorités s’alignent sur le plan climat FEV et les résultats de recherche régionaux.
La sélection variétale et l’architecture végétale
Élargir le champ des cépages autochtones et des clones tolérants ; optimiser conduite et densité (gobelet, cordon, palissage) pour moduler l’ensoleillement et limiter les brûlures. Les données Tempranillo/Albillo soutiennent une approche parcelle par parcelle.
L’efficience énergétique et la décarbonation
Cibler sobriété du froid, récupération de chaleur, électrification, et empreinte des emballages, avec des KPI par bouteille équivalent 0,75 l. L’objectif : baisser les coûts variables et la sensibilité aux tensions énergétiques.
La stratégie export et la protection de valeur
Prioriser les marchés à fiscalité stable ou en croissance (États-Unis, Asie), ajuster les degrés alcooliques quand c’est cohérent avec le style, et défendre les prix de référence grâce à des allocations plus fines, tout en poursuivant la premiumisation des vins embouteillés.
Une dynamique collective portée par EDA
EDA sert de plateforme d’accélération : formations techniques (vigne et chai), programmes pour startups, recherche appliquée (variétés à plus faible degré, boissons no/low), et rencontres sectorielles. L’institution articule des sites en Álava et La Rioja Alavesa pour irriguer l’écosystème, et son « Consejo de Bodegas » crée un espace pérenne de dialogue stratégique entre entreprises et experts.
Et maintenant
La séquence ouverte à Vega Sicilia met l’accent sur des chantiers immédiatement actionnables : sécuriser l’eau, fiabiliser les vendanges, réduire la dépendance énergétique et ré-équilibrer le portefeuille de marchés. À court terme, la réussite se mesurera sur des indicateurs simples — qualité sanitaire, stabilité des rendements, marge à l’export, intensité carbone par bouteille — et sur la capacité des maisons à faire circuler connaissances et moyens via EDA. À plus long terme, la trajectoire se jouera sur la vitesse d’adoption technologique, la formation des talents et la cohérence entre identité de terroir et attentes des consommateurs. Dans cet agenda, la Ribera del Duero a des atouts : un capital de marque puissant, un réseau de caves exportatrices et une dynamique d’excellence qui, si elle s’appuie sur la science et la coopération, peut transformer les contraintes climatiques en avantage compétitif.
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