La baisse du vin en France : chiffres, causes et leviers d’action
Chiffres clés, couleurs gagnantes ou en recul, raisons structurelles et pistes opérationnelles pour enrayer la baisse de la consommation de vin en France.
En résumé
La consommation de vin en France recule depuis des décennies et a encore fléchi en 2024. Les données disponibles indiquent environ 23 à 24 millions d’hectolitres consommés sur l’année, avec un retrait d’environ 3 à 4 %. En grande distribution, près de 35 millions de bouteilles ont disparu des rayons sur un an. La baisse est d’abord portée par les vins rouges, alors que les vins blancs résistent mieux et que les vins rosés marquent le pas après une décennie de croissance. Côté effervescents, la Champagne limite la casse, tandis que les autres bulles progressent par effet de report. Les causes sont multiples : démographie et nouvelles pratiques des jeunes adultes, contraintes de pouvoir d’achat, arbitrages santé, montée des boissons no/low alcool, fracture des circuits de vente. Pour rebondir, la filière dispose de leviers concrets : portefeuille couleurs rééquilibré, formats et degrés adaptés, premiumisation ciblée, nouveaux usages on-trade, data et e-commerce, et un effort pédagogique soutenu.
Le diagnostic en chiffres
La France demeure l’un des premiers marchés mondiaux, mais les volumes s’érodent. Les estimations situent la consommation 2024 autour de 23 à 24 Mhl, en baisse d’environ 3 à 4 % par rapport à 2023. À domicile, les achats des ménages atteignent près de 8 Mhl en 2024, en recul d’environ 4 %. Rapporté à la population, la tendance de long terme est nette : d’environ 100 à 120 l/hab/an dans les années 1960 à autour de 32 à 40 l/hab/an selon les sources et méthodes de calcul récentes. Dans la grande distribution, où s’écoulent près de 70 % des volumes, le panel Circana mesure une baisse de 4,2 % entre 2024 et 2025, soit environ 35 millions de bouteilles en moins.
Les catégories qui reculent et celles qui résistent
Les vins en net repli
Le segment le plus pénalisé reste les vins rouges. Les sorties de caisse en GMS montrent, sur 12 mois glissants, un recul supérieur à celui des autres couleurs. Entre avril 2024 et avril 2025, le rouge baisse d’environ 5 à 7 % selon les panels. Sur une période plus longue (2018-2023), la chute cumulée en volume dépasse 20 % en magasins. Les vins rosés, après un cycle de croissance continue, s’infléchissent : baisse d’environ 6 % en GMS sur la même période, et tassement de la consommation mondiale de rosés observé en 2023. Enfin, les vins bio tranquilles subissent aussi la pression du marché intérieur, même si les effervescents bio progressent.
Les vins qui tiennent mieux
Les vins blancs affichent une meilleure tenue : sur 2024-2025, la pénétration et les achats progressent légèrement en GMS (+0,6 %). En effervescents, la Champagne limite le recul (autour de –1,8 %), quand les autres bulles (crémants, prosecco sur import, etc.) bénéficient d’une dynamique plus positive. Côté vignobles, certains bassins premium tirent leur épingle du jeu en grande distribution, comme la Bourgogne en 2024 (+5,2 % en volume et en valeur), preuve que l’équation « rareté maîtrisée + lisibilité de gamme » peut encore fonctionner même en marché baissier.
Les causes structurelles de la baisse
La transition démographique et les nouvelles pratiques
Le poids des jeunes adultes diminue dans la clientèle vin, et leurs usages changent : consommation moins fréquente, occasions plus ponctuelles et quête de produits perçus comme plus « légers ». Le baromètre SOWINE/Dynata 2025 montre que le vin reste la boisson alcoolisée préférée, mais perd des points, tandis que l’intérêt pour les boissons no/low alcool atteint environ un tiers des consommateurs, avec plus d’un sur deux chez les 18-25 ans.
Le pouvoir d’achat, l’inflation et l’arbitrage prix
Après la poussée inflationniste 2022-2023, les prix du vin ont cessé de baisser et remontent légèrement depuis mi-2024. L’arbitrage budgétaire reste fort, surtout sur les références d’entrée de gamme : les segments à moins de 3 € la bouteille de 75 cl reculent nettement, quand la tranche 5-10 € concentre le gros des achats. Les enseignes ont adapté leurs Foires aux vins 2024 avec des sélections plus accessibles, des cuvées à boire jeunes et davantage d’effervescents non champenois, mais l’effet volume demeure limité.
La santé, l’image et la concurrence symbolique
La baisse s’inscrit dans un mouvement sociétal : moindre consommation d’alcool au global, sensibilité santé accrue, popularité de la bière artisanale et des cocktails, et concurrence « culturelle » d’univers qui empruntent au vin ses codes (origine, terroir, storytelling). Le cadre réglementaire de la communication limite la pédagogie sur la modération qualitative, ce qui renforce l’avantage des catégories plus « fun » dans les canaux digitaux.
La friction des circuits et des moments de consommation
L’érosion est plus marquée à domicile qu’en restauration, mais le hors-foyer n’a pas retrouvé partout son rythme d’avant-crise. En GMS, les linéaires s’étirent, mais la lisibilité souffre : abondance de références, repères de qualité hétérogènes, différenciation insuffisante entre cuvées. La montée des achats planifiés en ligne change aussi la donne : l’impulsion en rayon pèse moins, la bataille se déplace vers la recherche, la recommandation et l’abonnement.
Les couleurs de demain : où se situent les tendances ?
Les blancs aromatiques et digestes
La demande se reporte vers des vins blancs plus frais, aromatiques, digestes, souvent à degré modéré (11,5 à 12,5 % vol), servis plus frais et compatibles avec une cuisine végétale et épicée. Les AOC accessibles et les IGP bien travaillées gagnent des places en linéaire et en CHR.
Les rosés mieux segmentés
Après l’âge d’or, les vins rosés entrent dans une phase de tri. La Provence reste la locomotive à l’export, avec près de 44 % des ventes désormais hors de France, mais en domestique la catégorie doit justifier ses prix et clarifier ses styles. Les cuvées « gastronomie » aux amers fins et aux élevages maîtrisés conservent de l’attractivité, à condition d’être lisibles.
Les bulles de report et les cocktails à base vin
Hors Champagne, les effervescents profitent de leur position prix et de la convivialité. Les spritz, sangrias et sodas au vin progressent sur certains canaux, captant des moments estivaux où le vin tranquille recule.
Les voies de rebond : des actions concrètes, mesurables
La réécriture de portefeuille et la gestion des degrés
Alignez l’offre sur les usages réels. Objectif : rééquilibrer la part des couleurs et proposer davantage de cuvées entre 11 et 12,5 % vol là où le style le permet, sans dénaturer l’origine. Fixez des KPI simples : part de ventes en ≤12,5 % vol, taux de rotation par couleur, marge unitaire par format (0,75 l ; 0,25 l canette ; BIB 3 l).
La premiumisation ciblée et la preuve de valeur
La premiumisation ne se résume pas à « monter les prix ». Elle exige une preuve sensorielle et servicielle : parcellaire, élevage précis, service au verre calibré (125 ml), accords mets-vins travaillés. Composez des gammes courtes, lisibles, avec paliers nets (entrée, cœur, icône) et des allocations claires. Pilotez le mix canal : cavistes, CHR, e-commerce propriétaire et marketplaces spécialisées.
La lisibilité en rayon et la réduction de la complexité
En grande distribution, imposez trois principes : moins de doublons, plus de repères (cépage lisible, style, usage culinaire), et des QR codes donnant accès à 30 secondes d’histoire et de conseils. Mesurez l’effet : temps de décision, taux de conversion, panier moyen. Simplifiez les étiquettes : millésime, cépage(s), texture (sec, vif, tendre), température de service (°C), moment de consommation.
Le marketing d’occasions et l’œnotourisme
Recréez des occasions de consommation qualitative : « apéro d’auteur », « poisson & blanc de terroir », « pasta & rouge souple ». En parallèle, amplifiez l’œnotourisme : visites de 60 à 90 minutes, dégustations pédagogiques, ateliers accords mets-vins. Chaque visite doit devenir un abonnement numérique (newsletter, offres saisonnières), un parrainage et un panier moyen supérieur (≥ 6 bouteilles/visite).
Le digital utile : data, abonnement et recommandation
Passez d’un site vitrine à une plateforme : moteur de recommandation par goûts, abonnement trimestriel (3 × 0,75 l) avec guide papier de 4 pages, et garantie « satisfait ou remplacé ». Suivez des métriques simples : acquisition (coût/abonné), rétention (mois 6, mois 12), NPS, taux de réachat.
Les formats et l’empreinte
Développez formats « une occasion » (0,375 l ; 0,50 l ; 0,25 l) pour coller aux foyers plus petits et limiter le gaspillage. Allégez les bouteilles (objectif < 420 g) et communiquez sobrement l’empreinte carbone/bouteille et les gains obtenus (verre, transport, énergie au chai). Les bulles et les blancs frais sont naturellement compatibles avec cette promesse.
L’angle filière : coopérations et pédagogie
La baisse de la consommation de vin n’est pas un destin. Les bassins qui s’organisent mieux résistent davantage. Trois chantiers collectifs sont décisifs : partage des données (panels et D2C), mutualisation des plateformes logistiques et événementielles (salons locaux, semaines thématiques en CHR), et pédagogie nationale réaliste sur la modération qualitative. La filière doit retrouver une voix unifiée et des budgets compétitifs face aux bières et spiritueux qui occupent l’espace culturel.
Ce qui peut inverser la courbe dès 12 à 18 mois
Fixez des objectifs vérifiables : +2 points de part des vins blancs dans le mix, +1 point de pénétration sur les 25-34 ans grâce à des parcours d’initiation, +15 % de ventes en abonnement D2C, et un panier moyen CHR rehaussé de 10 % par la vente au verre maîtrisée. Si ces leviers s’accompagnent d’une meilleure lisibilité de l’offre, d’un effort sur les degrés et d’un service précis, le vin français peut regagner des occasions et défendre ses marges, même avec des volumes durablement plus bas.
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