La consommation de vin rouge chute en Europe, tandis que les vins blancs et effervescents gagnent du terrain. Décryptage des causes et des nouvelles tendances.

Depuis vingt ans, la consommation de vin rouge décline de manière constante sur les grands marchés européens : France, Italie, Espagne et Allemagne. Ce recul s’explique par des changements culturels, nutritionnels et économiques. Le vin rouge, autrefois symbole de tradition et de convivialité, souffre d’une image associée à la modération et à la santé. À l’inverse, les vins blancs et les vins effervescents, perçus comme plus légers et festifs, enregistrent une croissance continue, soutenue par des marques comme Prosecco, Cava ou Crémant de Loire. Entre 2000 et 2025, la part des vins blancs est passée de 46 % à 49 % du marché européen. Dans le même temps, les rosés poursuivent leur progression sur les marchés anglo-saxons, confirmant une recomposition durable de la demande mondiale en faveur de styles plus accessibles, plus fruités et plus compatibles avec les nouvelles habitudes de consommation.

Le constat : un recul historique du vin rouge en Europe

La consommation de vin rouge en Europe s’érode année après année. En France, elle a diminué de près de 40 % depuis le début des années 2000, passant d’environ 32 litres par habitant par an à 19 litres aujourd’hui. En Italie et en Espagne, la tendance est similaire : la baisse atteint −35 % en vingt ans, selon les données de l’OIV et de Wine Intelligence. L’Allemagne, traditionnellement tournée vers les vins blancs du Rhin, n’échappe pas non plus à cette désaffection.

Ce mouvement dépasse les aléas de récolte ou de prix : il traduit un changement structurel des comportements. Les repas quotidiens accompagnés de vin rouge ont quasiment disparu. Le vin devient un produit d’occasion, consommé plus rarement, mais avec un souci de qualité. Cette évolution s’inscrit dans une société où la modération et la santé sont devenues des valeurs dominantes. Les campagnes publiques sur l’alcool et le vieillissement de la population ont accentué ce virage.

Les producteurs français, notamment dans le Bordeaux, le Languedoc et certaines zones du Beaujolais, sont directement affectés. Ces bassins, historiquement orientés vers le rouge, doivent désormais composer avec une demande nationale en berne et un marché mondial très concurrentiel.

Les causes : entre santé, climat et nouvelles habitudes

Le premier facteur du recul est l’évolution des modes de vie. Les jeunes générations boivent moins d’alcool, privilégient la diversité et recherchent des boissons à faible teneur en degrés. Le vin rouge, souvent perçu comme lourd, tannique et calorique, séduit moins. Les études de l’IWSR (International Wine & Spirits Research) montrent que près de 60 % des consommateurs européens de moins de 35 ans préfèrent les vins blancs ou rosés, jugés plus faciles à boire.

La notion de bien-être joue également un rôle clé. Dans un contexte où la nutrition et la santé guident les choix alimentaires, la consommation de vin rouge pâtit de la méfiance envers les excès d’alcool et les risques cardiovasculaires perçus. À l’inverse, le blanc et les effervescents s’intègrent mieux dans une consommation dite « modérée et festive ».

Le changement climatique a aussi son influence. Dans de nombreuses régions méridionales, les hausses de températures modifient la structure aromatique et la teneur en alcool des vins rouges. Les producteurs cherchent alors à adapter les cépages ou à se diversifier vers des vins plus légers. Des appellations du sud de la France ou de Sicile introduisent désormais des cuvées de blancs et rosés pour suivre les goûts du marché.

Le basculement des marchés : blancs et effervescents en plein essor

Sur le marché mondial, les vins blancs ont dépassé les rouges en volume sur plusieurs segments. En Europe, leur part est passée de 46 % au début des années 2000 à 49 % aujourd’hui, selon les statistiques de FranceAgriMer et de l’OIV. Ce glissement s’est accéléré avec la montée des effervescents, dont la demande a bondi de +20 % sur cinq ans.

Le Prosecco italien illustre cette dynamique : ses exportations ont franchi le cap des 700 millions de bouteilles en 2024, soit plus du double du Champagne en volume. Le succès repose sur un positionnement clair : un vin festif, abordable, au profil aromatique simple et compatible avec la mixologie.

En Espagne, le Cava suit la même trajectoire, tout comme les Crémants français qui progressent sur les marchés nord-européens et asiatiques. L’Allemagne, historiquement friande de Sekt, conforte ce mouvement vers la bulle. Les vins blancs tranquilles profitent également de cette demande : les Sauvignons, Pinot gris ou Chardonnay européens sont plébiscités, notamment pour leur fraîcheur et leur compatibilité avec la gastronomie légère et internationale.

Les conséquences économiques : une filière en réajustement

Pour les producteurs, la contraction du segment rouge se traduit par une pression sur les prix et des stocks excédentaires. En France, les volumes invendus de vins rouges génériques ont conduit à des opérations de distillation de crise, financées partiellement par l’État et l’Union européenne. En 2024, près de 3 millions d’hectolitres ont été ainsi distillés, soit l’équivalent d’une production annuelle du Beaujolais.

Dans les Charentes et le Sud-Ouest, les plans d’arrachage indemnisé se multiplient, avec une indemnité moyenne de 6 000 euros par hectare pour les exploitations en difficulté. Ces mesures visent à ajuster le potentiel de production aux besoins réels du marché et à encourager la conversion vers des vins blancs ou effervescents.

L’impact se mesure également sur les exportations. En Italie, les ventes de vins rouges vers les États-Unis ont reculé de −8 % en volume entre 2022 et 2024, tandis que les exportations de Prosecco progressaient de +12 % sur la même période. L’Espagne, longtemps dominée par le rouge de Rioja, redirige désormais ses investissements vers les blancs de Galice et les bulles catalanes.

Les contre-tendances : les rosés et les marchés extérieurs

Face à ce recul, le vin rosé tire son épingle du jeu. Sa consommation mondiale a progressé de +30 % depuis 2010, portée par la Provence, l’Espagne et les États-Unis. Le Royaume-Uni, marché historiquement orienté vers le blanc, affiche aussi une appétence croissante pour les rosés premium. Leur image moderne, accessible et estivale séduit une clientèle plus jeune et plus féminine.

Les marchés extra-européens offrent par ailleurs des relais de croissance. En Asie, la consommation de vin reste marginale mais progresse rapidement, avec un intérêt pour les produits légers et aromatiques. La Chine, malgré un essoufflement post-pandémie, reste un débouché stratégique. Aux États-Unis, la diversification de l’offre et le développement de nouvelles catégories (vins sans alcool, vins bio, packaging durable) soutiennent la mutation globale du marché.

Les stratégies d’adaptation : innovation et montée en valeur

Face à cette mutation, les producteurs européens ne restent pas immobiles. Beaucoup misent sur la restructuration de leur offre : diversification des cépages, vinifications plus courtes, réduction du degré alcoolique et développement des gammes premium. Le marketing du vin se modernise, avec des codes plus clairs, des étiquettes lisibles et une communication centrée sur la provenance, la durabilité et le plaisir.

Les acteurs de la filière investissent aussi dans la reconversion vers le blanc et le rosé. Dans le Languedoc, plusieurs coopératives ont transformé une partie de leurs parcelles de Grenache et Syrah en Vermentino ou Chenin. En Italie, les viticulteurs du Piémont plantent davantage de Glera pour alimenter la demande en Prosecco. Ces évolutions ne se limitent pas à un effet de mode : elles traduisent un repositionnement durable, appuyé par les aides européennes à la reconversion et à l’investissement technologique.

Les maisons de Champagne et de Crémant profitent également de cette vague. En capitalisant sur la notoriété et la valeur ajoutée des vins effervescents, elles s’imposent comme les nouveaux moteurs de croissance de la viticulture européenne.

Le regard d’avenir : vers une Europe du vin plus diversifiée

La baisse du vin rouge en Europe ne signe pas la fin d’un modèle, mais sa transformation. L’avenir de la viticulture passe par une diversification assumée, fondée sur l’écoute des consommateurs, l’adaptation climatique et la montée en valeur des terroirs.

Les vins rouges ne disparaîtront pas, mais ils deviendront plus segmentés : cuvées de garde, appellations iconiques et micro-productions à forte identité. Les volumes de masse laisseront la place à une approche plus qualitative et durable. L’Europe du vin s’oriente vers une pluralité de styles, de couleurs et de modes de consommation, où la légèreté, la transparence et l’innovation tiendront désormais lieu de tradition.

Cours d’oenologie est un magazine indépendant.

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