Marché des grands crus : la fin de la fièvre spéculative se confirme
Après deux ans agités, les vins de prestige montrent un palier en décembre. Indices, flux d’achats et régions : ce que disent les chiffres.
En décembre, le marché des Grands Crus donne des signaux rares depuis 2023 : moins de nervosité et davantage de transactions « utiles », centrées sur la qualité, la disponibilité et la capacité de garde. Les indices confirment un palier plus qu’un rebond. Sur 2025, les prix restent en recul, mais l’automne a apporté plusieurs mois de progression sur les baromètres larges, signe qu’un plancher se construit. Le mouvement n’est pas uniforme : Bordeaux tente de retrouver de la fluidité après des campagnes primeurs jugées trop chères, tandis que l’Italie et certains segments plus « buvables » se montrent plus stables. Dans ce contexte, la thèse du « placement rapide » recule au profit d’achats plus ciblés : millésimes aboutis, domaines liquides, formats recherchés, et arbitrages plus rationnels. La période des fêtes joue un rôle de catalyseur, car elle réactive le besoin de stocker, d’offrir et de boire, pas seulement de conserver.
Le retour d’un marché plus lisible après deux années de volatilité
La séquence 2023-2025 a été brutale pour les amateurs comme pour les investisseurs. Les prix des vins de prestige ont corrigé après le pic de 2022, alimenté par des taux bas, une forte demande asiatique et des effets de rareté sur certains segments. En 2025, les chiffres rappellent que la baisse n’est pas terminée sur l’année : l’indicateur Liv-ex Fine Wine 100 affiche encore un recul cumulé à fin novembre, et plusieurs régions restent négatives. Le point important, en décembre, n’est pas la performance annuelle, mais la forme de la courbe : plusieurs mois récents repassent au vert sur les indices plus larges, ce qui traduit une amélioration de l’appétit pour des achats sélectifs.
Autre indicateur parlant : la manière dont se font les échanges. Quand un marché est fébrile, les vendeurs « tiennent » leurs prix, les acheteurs attendent, et la liquidité se dégrade. À l’inverse, quand le marché se stabilise, on voit davantage de transactions initiées par des acheteurs, des écarts achat/vente qui se resserrent, et un retour de volumes sur des marques établies. En clair : il devient plus simple de trouver un prix de marché crédible, et les discussions se concluent plus vite.
La lecture des indices et des signaux de liquidité en décembre
Pour objectiver la stabilisation, il faut regarder à la fois les indices et la microstructure du marché. Un point souvent négligé : un indice peut être stable alors que le marché reste « dur » si les échanges se raréfient. En décembre, plusieurs sources sectorielles soulignent au contraire une amélioration progressive de la liquidité, même si l’environnement demeure celui d’un marché favorable aux acheteurs.
L’indice Liv-ex 1000 (plus large) a connu une progression modeste mais symbolique sur la fin d’année, après un long ajustement. Des commentateurs parlent d’un « plancher » plutôt que d’un rebond : cela signifie que le marché a absorbé une partie des stocks surévalués et que la demande revient quand les prix redeviennent cohérents.
Un autre thermomètre est le bid-offer ratio (rapport entre les intentions d’achat et les offres). Quand ce ratio remonte, cela traduit une reprise d’initiative du côté des acheteurs : ils posent des prix, testent la profondeur de marché, et finissent par déclencher des échanges sur des références liquides. Ce n’est pas encore un régime haussier, mais c’est un régime plus stable.
Enfin, la période des fêtes compte : les achats cadeaux et les reconstitutions de cave créent des flux concrets. Ce sont des achats qui tolèrent moins les « histoires de prix » et privilégient des bouteilles immédiatement identifiables, avec une réputation solide et une garde documentée.
Les régions qui tirent la stabilisation et celles qui restent en retrait
La stabilisation de décembre n’efface pas les différences régionales. Le marché n’achète pas « le vin » : il achète des segments.
Le cas de Bordeaux, entre correction et recherche de fluidité
Bordeaux a été au cœur de la correction. Les raisons sont connues dans la profession : volumes importants, dépendance historique à certaines places de marché, et surtout un problème de prix de sortie sur plusieurs campagnes récentes. Résultat : une partie des millésimes jeunes s’est retrouvée en concurrence directe avec des millésimes matures disponibles au même prix, parfois moins chers.
Les exemples concrets illustrent cette tension. Sur 2025, certaines icônes bordelaises de millésimes récents ont enregistré des baisses marquées en caisse de 12 bouteilles, signe d’un réajustement nécessaire. Cette correction, aussi douloureuse soit-elle, prépare la stabilisation : une fois les prix réalignés, les acheteurs reviennent, mais ils deviennent plus exigeants sur la note, la provenance, le niveau de stock et la fenêtre de dégustation.
Le cas de l’Italie, résilience et image de marque
Les Super Toscans, dont Sassicaia, profitent d’un socle de demande plus « international grand public », avec un usage fréquent en restauration et en cadeaux de prestige. L’Italie a aussi bénéficié d’une dynamique d’échanges plus régulière sur certaines signatures, ce qui limite les variations extrêmes. Dans un marché qui se normalise, ces marques agissent comme des valeurs de référence : elles se vendent parce que tout le monde les connaît, et pas uniquement parce qu’elles étaient montantes.
Le cas de la Napa, prestige fort mais achats plus tactiques
Côté Californie, des noms comme Opus One gardent une puissance de marque élevée. Mais la demande est devenue plus tactique : les acheteurs regardent davantage les millésimes, les fenêtres de garde et les niveaux de prix par rapport aux alternatives (Bordeaux deuxième vin très solide, Italie premium, Champagne vintage, etc.). En période de stabilisation, la Napa se comporte souvent comme un segment « plaisir-statutaire » : on achète pour boire et offrir, pas pour faire une rotation rapide.
Le retour du « vin-plaisir » : moins de spéculation, plus de cave construite
Le fait saillant de décembre, c’est le changement de discours et de comportements. Le marché privilégie le vin-plaisir : des bouteilles ouvertes, partagées, et choisies pour leur qualité, leur régularité et leur capacité de garde, plutôt que pour une hausse espérée à trois mois.
Concrètement, cela se voit dans trois arbitrages :
- Les acheteurs privilégient des domaines établis, avec une demande internationale stable, plutôt que des cuvées « hype » très sensibles au cycle.
- Les achats se font davantage sur des millésimes aboutis ou déjà partiellement prêts, car ils réduisent le risque (pas besoin d’attendre 15 ans pour savoir si le vin tient sa promesse).
- Les caves se construisent avec une logique de longévité : par exemple, mixer des vins à boire entre 3 et 7 ans, d’autres entre 8 et 15 ans, et quelques flacons de garde longue.
Ce mouvement ne supprime pas la dimension patrimoniale, mais il remet la consommation au centre. C’est aussi un mécanisme de stabilisation : quand le vin redevient un bien consommé, les prix se calent plus facilement sur une utilité réelle.
Le rôle des marques établies et l’effet Catena en 2025
Dans ce contexte, les marques à forte crédibilité gagnent mécaniquement des parts d’attention. L’exemple souvent cité en 2025 est Catena, distinguée comme marque de vin la plus admirée au monde. Ce type de signal compte sur un marché stabilisé : il rassure les acheteurs internationaux, renforce la désirabilité, et soutient la rotation en distribution comme sur le secondaire.
Il faut être clair : ce n’est pas parce qu’une marque est très admirée qu’elle devient un actif spéculatif. Mais, dans une phase de consolidation, la réputation agit comme un amortisseur de volatilité. Les acheteurs se sentent plus à l’aise pour acheter, conserver et offrir. Et les prescripteurs (sommeliers, cavistes, importateurs) continuent de pousser ces noms, ce qui entretient une demande organique.
Les repères pratiques pour acheter sans se tromper pendant la stabilisation
La stabilisation est une période intéressante, mais elle exige de la méthode. Quelques repères concrets :
- Privilégier des références liquides : grands noms, formats standard, millésimes documentés. Plus c’est liquide, plus le prix est lisible.
- Comparer les prix par caisse de 12 et par bouteille. Une remise de 8 % sur une caisse (12 x 0,75 l, soit 9 l au total) change vite l’équation.
- Regarder la cohérence millésime/prix. Si un 2021 est au prix d’un 2016 plus prêt à boire, la décision est vite prise.
- Éviter de confondre rareté et désir. Une cuvée rare sans demande internationale se vend mal, donc reste volatile.
- Acheter en fonction d’un calendrier de consommation. Une cave saine est une cave qui se boit.
Ces repères collent au mouvement de décembre : moins de paris, plus de choix structurés.
La suite probable du marché au premier trimestre
La stabilisation de décembre n’est pas une garantie. Un choc macroéconomique, une variation brutale des devises ou une campagne primeurs mal calibrée peut relancer l’instabilité. Mais les signaux actuels suggèrent un scénario central : un marché encore exigeant, avec des acheteurs en position de force, mais des prix qui cessent de glisser de manière continue.
Le point de vigilance majeur reste l’alignement entre prix de sortie (notamment sur Bordeaux) et réalité du secondaire. Si les mises en marché se font à des niveaux perçus comme trop ambitieux, les acheteurs continueront de contourner les primeurs au profit de millésimes disponibles. À l’inverse, si l’offre devient plus raisonnable, la liquidité peut réellement se retendre.
Décembre ne signe pas un grand retournement. Il marque quelque chose de plus utile : un marché qui redevient lisible. Les indices remontent légèrement sur la fin d’année, la liquidité s’améliore, et les achats se recentrent sur la qualité et la garde. La spéculation courte recule, ce qui est sain pour un marché de bouteilles réelles.
La conséquence pratique est simple : la période actuelle récompense les acheteurs disciplinés. Ceux qui achètent des vins faits pour être bus, issus de marques solides, dans des millésimes cohérents, construisent des caves plus robustes et, souvent, achètent à de meilleurs niveaux qu’au pic de 2022. Le prestige n’a pas disparu. Il change de rythme.
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