Argentine: vin en recul et Mendoza sous pression minière
La consommation de vin chute de 18 % en Argentine. Inflation, crise sociale et projet minier à Mendoza fragilisent l’équilibre d’un vignoble clé.
L’Argentine traverse une séquence critique pour sa filière vitivinicole. Le 16 décembre 2025, les chiffres officiels confirment une chute de 18 % de la consommation intérieure de vin sur un an. Cette baisse brutale reflète une réalité économique dure: l’inflation galopante réduit le pouvoir d’achat et pousse les ménages à arbitrer au détriment du vin de table. Deux jours plus tard, le 18 décembre, une autre décision cristallise les tensions. Un projet minier de cuivre de 559 millions de dollars est validé dans la province de Mendoza, cœur symbolique du Malbec argentin. Les vignerons dénoncent une menace directe sur les ressources en eau, déjà rares, et sur l’image de pureté des terroirs d’altitude. Ces deux dynamiques, économique et environnementale, se croisent et se renforcent. Elles révèlent un modèle viticole fragilisé, pris entre crise de la demande domestique et conflits d’usage du territoire, dans un pays où le vin reste un marqueur culturel fort mais de plus en plus difficile à défendre au quotidien.
La chute de la consommation comme symptôme social
La baisse de 18 % de la consommation intérieure de vin en un an est d’une ampleur exceptionnelle. Elle ne s’explique pas par un simple changement de goût. Elle traduit avant tout une crise du pouvoir d’achat. En Argentine, l’inflation dépasse largement les seuils supportables pour les ménages. Les prix des produits de base progressent plus vite que les salaires. Le vin, longtemps présent sur les tables quotidiennes, devient un produit arbitrable.
Les chiffres montrent que le recul touche d’abord le vin de table, vendu à bas prix et consommé localement. Les catégories plus premium résistent mieux, mais elles ne compensent pas la chute des volumes. Le vin perd son statut de boisson ordinaire pour redevenir un produit occasionnel. Cette évolution est culturelle autant qu’économique.
L’inflation qui redéfinit les choix de consommation
L’inflation agit comme un filtre brutal. Les ménages argentins privilégient l’alimentation essentielle. Le vin, même à bas prix, se retrouve en concurrence avec des produits jugés plus nécessaires. Les producteurs observent un glissement vers la bière artisanale locale ou vers des boissons non alcoolisées, perçues comme moins coûteuses ou plus “modernes”.
Cette mutation n’est pas propre à l’Argentine, mais elle y est exacerbée par la violence de la crise monétaire. Les hausses de coûts de production, en particulier l’énergie et les intrants, se répercutent sur les prix finaux. Les marges des producteurs se compressent. Certains vendent à perte pour maintenir des débouchés.
Un modèle viticole fragilisé de l’intérieur
La filière vitivinicole argentine reposait historiquement sur un équilibre entre marché intérieur et exportations. La contraction de la consommation domestique rompt cet équilibre. Les exportations, en dollars, deviennent vitales. Mais elles exposent les producteurs aux aléas logistiques, aux taux de change et à la concurrence internationale.
Les petites exploitations sont les plus vulnérables. Elles dépendent du marché local et disposent de moins de leviers financiers. La baisse de la consommation intérieure se traduit par des stocks plus importants, des prix sous pression et une fragilisation de la trésorerie.
Mendoza, cœur du Malbec et symbole national
La province de Mendoza concentre près de 70 % de la production viticole argentine. Elle incarne l’identité du Malbec, cépage devenu emblème du pays à l’export. Ses vignobles d’altitude, souvent situés entre 800 et 1 200 mètres (environ 2 600 à 3 900 pieds), tirent leur réputation de conditions climatiques spécifiques: forte amplitude thermique, ensoleillement élevé et sols pauvres.
Cette identité repose sur un élément clé: l’eau. Dans une région semi-désertique, l’irrigation dépend de la fonte des neiges andines. Toute pression supplémentaire sur cette ressource est perçue comme une menace existentielle.
Le projet minier qui ravive les conflits d’usage
Le 18 décembre 2025, les autorités provinciales valident un projet minier de cuivre de 559 millions de dollars. L’investissement est présenté comme stratégique pour l’économie régionale, créateur d’emplois et de devises. Mais pour les vignerons, la décision est un choc.
L’extraction du cuivre est une activité fortement consommatrice d’eau et potentiellement polluante. Même encadrée, elle modifie les équilibres hydriques. Les professionnels du vin redoutent une concurrence directe pour l’accès à l’eau et un risque de contamination, même indirecte, des nappes et des cours d’eau.
L’eau comme ligne rouge non négociable
À Mendoza, l’eau n’est pas un simple facteur de production. C’est un bien stratégique. Les systèmes d’irrigation, hérités de pratiques anciennes, sont finement régulés. Toute modification du débit ou de la qualité de l’eau a des effets immédiats sur la vigne.
Les opposants au projet minier soulignent que le vignoble repose sur une image de terroirs d’altitude préservés. Cette image est centrale pour la valorisation à l’export. La moindre suspicion de pollution peut fragiliser des marchés entiers, sensibles aux arguments environnementaux.
Une bataille d’image aux conséquences économiques
Le conflit ne se limite pas à un débat technique. Il touche à la réputation internationale du vin argentin. Les acheteurs étrangers associent Mendoza à des paysages andins, à une nature brute et à une viticulture exigeante. L’installation d’une mine de cuivre dans ce décor brouille le message.
Pour les producteurs, le risque est clair: perdre une partie de la valeur immatérielle qui justifie des prix plus élevés à l’export. Dans un contexte de baisse de la consommation intérieure, cette perte serait difficilement compensable.
Les autorités face à des choix contradictoires
Les pouvoirs publics argentins se retrouvent face à un dilemme. D’un côté, l’économie nationale a besoin d’investissements étrangers et de devises. Le cuivre est une ressource stratégique, très demandée pour la transition énergétique mondiale. De l’autre, la viticulture est un pilier historique, générateur d’emplois durables et d’exportations régulières.
La validation du projet minier révèle une priorité donnée à la rentabilité immédiate. Mais elle ouvre un front social et politique. Les mobilisations de vignerons et d’habitants rappellent que le territoire n’est pas un espace neutre.
Une filière viticole sous double pression
La crise actuelle combine deux pressions simultanées. La contraction de la demande intérieure réduit les débouchés. Le conflit de terroir à Mendoza menace les fondements mêmes de la production qualitative. Cette double contrainte fragilise la stratégie des producteurs.
Certains misent sur l’export à tout prix. D’autres envisagent une réduction des surfaces ou une diversification. Mais ces choix prennent du temps et nécessitent des investissements que tous ne peuvent pas assumer.
Le Malbec argentin à un tournant stratégique
Le Malbec reste un atout puissant. Il bénéficie d’une reconnaissance mondiale. Mais son avenir dépend de la capacité du pays à protéger les conditions de sa production. Le débat autour du projet minier dépasse Mendoza. Il pose la question de la hiérarchisation des usages du sol dans un pays en crise.
Si l’Argentine sacrifie ses terroirs viticoles à court terme, elle risque de perdre un avantage compétitif construit sur plusieurs décennies. À l’inverse, refuser certains projets miniers impose de trouver d’autres sources de financement pour une économie sous tension.
Une crise révélatrice d’un choix de société
La baisse de la consommation de vin et le conflit autour de Mendoza ne sont pas des phénomènes isolés. Ils traduisent une société sous pression, contrainte de faire des choix rapides entre survie économique et préservation des identités productives. Le vin, longtemps symbole de convivialité et de stabilité, devient un révélateur de ces tensions.
L’Argentine vit un moment charnière. Le sort du vignoble mendocin et l’évolution des habitudes de consommation diront si le pays parvient à concilier développement économique et respect de ses terroirs. Le vin, ici, n’est pas qu’un produit. Il est un indicateur politique et social à part entière.

