Château de Beaucastel inaugure une cave ultra durable, conçue avec les matériaux du domaine, et renforce l’engagement biodynamique de la Famille Perrin à Châteauneuf-du-Pape.

Le projet mené par la Famille Perrin à Château de Beaucastel marque un tournant pour la viticulture haut de gamme. Après six années de conception et de chantier, le domaine de Châteauneuf-du-Pape dévoile une cave durable pensée comme un écosystème complet, construite à plus de 80 % avec des matériaux issus du site lui-même (argile, sable, galets roulés) et dotée d’une autonomie énergétique annoncée autour de 80 %. Les architectes de Studio Mumbai et Studio Méditerranée ont conçu une véritable « cave-paysage » où le pisé, le béton de site et les tours à vent inspirées de la Perse antique assurent naturellement une température d’environ 15 °C. Cette nouvelle infrastructure n’est pas un geste de communication, mais l’extension logique d’un engagement en biodynamie initié en 1974. Elle vise à sécuriser la qualité et la fraîcheur des vins, en particulier de l’Hommage à Jacques Perrin, dans un contexte de réchauffement accéléré à Châteauneuf-du-Pape. À terme, Beaucastel se positionne comme un modèle de cave la plus verte du monde, qui pourrait redéfinir les standards de l’architecture viticole.

Le projet de transformation de Château de Beaucastel

Le chantier de la nouvelle cave de Château de Beaucastel ne ressemble pas à une extension classique de chai. Pensé dès 2017, il a mobilisé trois années d’études, puis trois années de travaux continus, pour un investissement estimé entre 12 et 15 millions d’euros, selon les sources professionnelles.

L’objectif affiché par la Famille Perrin est double. D’abord, augmenter la capacité et la souplesse de vinification pour accompagner l’évolution du vignoble sur le long terme. Ensuite, faire de la cave un outil central de résilience climatique, capable de maintenir des conditions de vinification stables malgré des étés plus chauds et plus secs dans le sud de la vallée du Rhône.

Les travaux ont été confiés à Bijoy Jain (Studio Mumbai) et à Louis-Antoine Grégo (Studio Méditerranée), sélectionnés à l’issue d’un concours d’architecture. Leur approche a consisté à « mettre le terroir à la verticale » : utiliser les matériaux mêmes qui composent les sols de Beaucastel pour bâtir un ensemble cohérent, monacal, totalement intégré au paysage.

La première vendange entièrement réalisée dans ce nouveau chai a été celle de 2024, ce qui permet d’entrer dès maintenant dans une phase d’évaluation concrète de son impact sur les vins.

La cave la plus durable du monde : matériaux, énergie et eau

Ce qui distingue le projet Beaucastel, c’est son degré de radicalité écologique. Selon les chiffres communiqués, environ 85 % des matériaux utilisés proviennent directement du domaine : argile rouge, sable, galets roulés, gravats recyclés. Aucun camion n’est entré ni sorti du chantier, les matériaux étant extraits, transformés et remis en œuvre sur place.

Les murs en pisé (terre crue compactée) et le « béton de site » – mélange de sable, d’argile et de pierres du domaine – assurent une inertie thermique exceptionnelle. Ils limitent les besoins de chauffage ou de rafraîchissement, tout en offrant une hygrométrie naturellement stable pour l’élevage des vins.

La régulation de la température repose sur une architecture bioclimatique sophistiquée. Des tours à vent, inspirées des badgirs persans, captent l’air frais nocturne, qui est ensuite refroidi par des citernes enterrées et des dispositifs de brumisation. Ce système permet de maintenir la cave autour de 15 °C, sans recours massif à la climatisation mécanique.

L’eau de pluie est récupérée sur près de 7 000 m² de toitures, stockée dans des réservoirs et utilisée pour les besoins techniques et paysagers. Des panneaux photovoltaïques complètent le dispositif, amenant le domaine à environ 80 % d’autonomie énergétique pour les fonctions liées au chai.

Cette combinaison de matériaux locaux, de gestion fine de l’air et de l’eau, et d’énergie solaire justifie le positionnement de Beaucastel comme l’une des caves les plus avancées au monde sur le terrain de la durabilité, au-delà des simples labels environnementaux.

La continuité d’un engagement pionnier en biodynamie

Présenter ce projet comme une rupture serait trompeur. À Beaucastel, la transition écologique est ancienne. Le domaine est conduit en agriculture biologique depuis les années 1950 et en biodynamie depuis 1974, bien avant que ces termes ne deviennent des arguments commerciaux.

Sur une centaine d’hectares à Châteauneuf-du-Pape, le vignoble est travaillé avec des préparations biodynamiques, des labours maîtrisés, une forte présence de vie organique et une diversité de cépages remarquable – jusqu’à treize variétés autorisées dans l’appellation. Cette mosaïque est au cœur du style Beaucastel : densité, fraîcheur, notes de garrigue et de sous-bois, capacité de garde.

La nouvelle cave prolonge cette philosophie. Le choix du pisé, des enduits à base de terres locales, des jardins secs pensés par Tom Stuart-Smith, ou encore du mobilier en bambou et soies sauvages, répond à la volonté de limiter l’empreinte carbone tout en créant un environnement cohérent, du cep jusqu’au verre.

L’ensemble devient un manifeste : il ne s’agit plus seulement de produire du vin biodynamique dans des bâtiments classiques, mais d’intégrer la cave durable au cœur de la chaîne de valeur, comme un organe vivant du domaine.

L’impact sur les vins et sur Hommage à Jacques Perrin

Sur le plan œnologique, la nouvelle cave n’est pas un simple écrin spectaculaire. Elle modifie les conditions de travail et, potentiellement, le profil des vins, en particulier de l’Hommage à Jacques Perrin, cuvée emblématique produite en très faible volume.

L’inertie thermique des bâtiments permet de stabiliser les fermentations, d’éviter les pics de température dans les cuves lors des vendanges précoces que impose désormais le climat, et de mieux maîtriser les extractions sur des cépages comme le Mourvèdre, pilier du style Beaucastel. Une vinification plus douce, moins dépendante du froid mécanique, favorise des tannins plus fins et une meilleure intégration de la matière.

Le nouveau chai offre également une plus grande flexibilité de travail parcellaire. L’architecture a été pensée pour multiplier les petits contenants, isoler des micro-parcelles clés, et affiner les assemblages. Cela joue directement sur la précision aromatique des cuvées, du Châteauneuf-du-Pape rouge « classique » à l’Hommage à Jacques Perrin, où chaque composant peut être vinifié et élevé selon ses besoins propres.

Enfin, la capacité à maintenir des conditions constantes, y compris lors d’épisodes de canicule extérieure, limite le risque d’oxydation prématurée, de déviation microbiologique ou de stress sur les vins en élevage. Pour une cuvée qui vise régulièrement des horizons de garde de 20 à 30 ans, cette stabilité n’est pas un détail technique mais un enjeu central.

Le rôle de la cave dans la résilience climatique de Châteauneuf-du-Pape

Le sud de la vallée du Rhône est en première ligne du réchauffement. Les vendanges avancent, les vagues de chaleur au-delà de 40 °C se multiplient et les épisodes de sécheresse s’allongent. Pour un terroir de galets roulés comme celui de Beaucastel, la question n’est plus de savoir si le climat change, mais comment y faire face.

La nouvelle cave devient un pilier de résilience climatique à plusieurs niveaux :

  • En réduisant la dépendance à la climatisation, elle limite la consommation d’énergie à un moment où les besoins de refroidissement explosent dans la filière.
  • En stabilisant les conditions de vinification, elle permet de gérer des vendanges plus précoces, des raisins plus concentrés, sans sacrifier l’équilibre alcool-fraîcheur.
  • En récupérant l’eau de pluie, elle offre une ressource stratégique dans un contexte de tension hydrique croissante, pour les usages techniques comme pour l’environnement immédiat du chai.

Ce modèle montre qu’une cave durable n’est pas un luxe esthétique, mais un outil d’adaptation structurelle dans une appellation où la chaleur et le Mistral redessinent déjà le paysage viticole.

Les implications pour la filière et le signal envoyé par Beaucastel

En revendiquant le statut de cave la plus verte du monde, Beaucastel prend un risque assumé : se placer au niveau où chaque détail de conception peut être scruté. Mais le signal envoyé à la filière est clair. Un grand domaine historique, producteur de vins recherchés, accepte de transformer en profondeur son outil de production pour aligner architecture, viticulture et enjeux climatiques.

Ce type de projet fixe une nouvelle référence pour les grands chais de prestige. Il montre qu’il est possible de concilier identité patrimoniale, exigence esthétique et réduction drastique de l’empreinte environnementale, sans renoncer à la haute précision œnologique. Il rappelle aussi que l’investissement nécessaire – en temps comme en capital – ne relève pas de la simple mise à niveau technique, mais d’une vision à plusieurs décennies.

La question, désormais, est de savoir combien de domaines auront la volonté, les moyens et la capacité de s’engager dans une démarche d’ampleur comparable. Si d’autres grands noms de Châteauneuf-du-Pape et d’ailleurs franchissent le pas, la cave de Beaucastel pourrait bien être considérée, dans quelques années, comme un prototype – celui d’un modèle viticole où la pierre, la terre et le vin recomposent un pacte plus sobre avec le climat.

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