Crème de Tête du Château Gilette
Sauternes rare du Château Gilette, élevé longtemps en cuves de ciment, mis tardivement en bouteille, issu de faibles rendements, pur, et apte à la longue garde.
Crème de Tête vient de Sauternes, commune de Preignac, sur la rive gauche de la Garonne. Le vignoble du Chateau Gilette couvre environ 4,5 ha clos de murs, sur sols de graves, sables et argiles calcaires. Le brouillard automnal favorise le Botrytis cinerea. L’aire profite d’un climat océanique tempéré, ventilé, avec alternance humidité/ensoleillement en fin de saison. La propriété sort ses vins après un très long élevage en cuves en ciment, sans bois. La mise intervient souvent 20 à 25 ans après la récolte. La production est minime, autour de 4 500 à 5 000 bouteilles par millésime, uniquement quand la maturité botrytique atteint le niveau voulu.
Type et cépage
Crème de Tête est un vin blanc liquoreux de Sauternes. L’assemblage repose d’abord sur le Sémillon (environ 90 % selon années), complété par Sauvignon blanc (≈ 8 %) et Muscadelle (≈ 2 %). Le Sémillon offre gras, miel et capacité de garde ; le Sauvignon apporte agrumes et nerf ; la Muscadelle ajoute des notes florales. Les tries sont multiples, à la main, pour ne retenir que les baies touchées par la pourriture noble. Le pressurage se fait en douceur pour préserver la pureté du jus. Fermentations lentes. Particularité forte : absence totale d’élevage en barrique. Le vin séjourne longuement en cuves en ciment, à l’abri de l’oxygène, ce qui conserve la fraîcheur des acides, la précision des arômes et une texture serrée. La mise en bouteille tardive stabilise le profil et réduit le besoin de soufre à l’embouteillage.
Historique du Crème de Tête
Le nom Crème de Tête apparaît au début du XXe siècle pour désigner la sélection la plus riche du domaine, issue des meilleures tries. La famille Médeville tient le lieu depuis le XVIIIe siècle. Dans les années 1930, René Médeville impose une voie singulière : pas de chêne, mais des cuves en ciment et un temps de garde très long avant la mise. L’idée naît d’une observation simple : les lots les plus purs gagnent en complexité avec un élevage neutre, lent, et une moindre exposition à l’oxygène. Après la Seconde Guerre mondiale, la pratique se généralise sur les millésimes jugés suffisants en concentration et en botrytis. La ligne sera poursuivie par Christian Médeville, puis par Julie Gonet-Médeville et Xavier Gonet. Les sorties se font en petites quantités et souvent à maturité de consommation. Cette politique de mise tardive explique la présence régulière sur le marché de millésimes des années 1970, 1980, 1990 ou 2001 encore en phase ascendante. Le style se définit par une liqueur fine, une grande tension, des arômes d’abricot confit, zestes d’agrumes, cire d’abeille et épices douces, avec une signature salivante plus qu’opulente.
Le Domaine Chateau Gilette
Le domaine se situe au cœur de Preignac. Les vignes, majoritairement Sémillon, incluent de très vieilles parcelles plantées avant-guerre. Les rendements tournent autour de 9 à 15 hl/ha selon millésime, parfois moins en années sèches. Les tries sont successives et manuelles, de fin septembre à fin octobre, voire novembre. Les raisins passent en pressoir vertical ou pneumatique à très faible pression. Les moûts fermentent par lots, puis sont assemblés. L’élevage s’effectue exclusivement en cuves en ciment pendant 15 à 20 ans au minimum, parfois plus. Aucun bois n’entre en contact avec le vin. La philosophie vise la pureté, la tenue en bouche et la longueur, avec des liqueurs denses mais portées par l’acidité naturelle. Les mises se font quand la lecture aromatique est nette et la structure parfaitement liée. En années jugées insuffisantes, le domaine peut ne pas produire Crème de Tête ou réduire fortement le volume. Le suivi des bouteilles est strict : provenance traçable, stockages frais et sombres, contrôle constant des niveaux. La propriété gère aussi Les Justices à Sauternes et d’autres crus bordelais, mais Crème de Tête reste la cuvée la plus recherchée, avec un profil unique dans l’appellation.
Les vins du Domaine Chateau Gilette
Les millésimes marquants de Crème de Tête incluent 1967, 1975, 1983, 1988, 1989, 1990, 1996, 1997, 2001, 2003, 2016 et 2019. 1967 affiche une complexité tertiaire remarquable. 1975 propose une liqueur ferme et une finale longue, idéale pour la table. 1989 et 1990 donnent des bouquets très riches, sur fruits confits et safran, avec une tension encore vive. 1996 se distingue par sa droiture. 1997 offre une bouche plus crémeuse. 2001, grande année à Sauternes, combine concentration et acidité cristalline. 2003, année chaude, garde un équilibre surprenant grâce au choix d’assemblage et à l’élevage neutre. 2016 et 2019 montrent la continuité du style, plus élancé, avec une salinité nette.
Côté tarifs, le marché varie selon millésime, format et provenance. En France, on rencontre des 75 cl entre 250 et 600 € pour des années récentes à matures (1990, 1996, 1997, 2001). Des millésimes anciens, en haute cote (1967, 1953), peuvent dépasser 600 €. Les demi-bouteilles affichent souvent un prix facial plus bas, mais une prime au millilitre. Conseils d’achat : viser caisse d’origine, vérifier niveau et état des capsules, privilégier un vendeur avec stockage professionnel. Service conseillé à 10–12 °C. Accord efficace avec volailles rôties, fromages bleus, cuisine épicée modérée, desserts peu sucrés (agrumes, fruits jaunes). Le potentiel de garde reste très long ; la bouteille entamée se conserve au froid 24–48 h, mieux sous gaz neutre.
Quelques comparaisons
Dans Sauternes, Château Climens (Barsac) et Château Coutet proposent des profils tendus, plus citronnés, souvent à 60–150 € selon cuvée et âge. Château Suduiraut et Château Rieussec livrent des styles plus enveloppés, avec passage en barriques neuves, fréquemment 70–180 € pour des millésimes matures courants ; l’élevage en bois apporte vanille, épices et une texture différente de Crème de Tête. Château de Fargues aligne une concentration proche, avec une présence boisée assumée, budgets 150–350 € selon année. Château d’Yquem, référence la plus chère, présente une liqueur et une complexité supérieures en moyenne, avec une note boisée intégrée et des prix nettement plus élevés, souvent 350–800 € et bien plus pour les grands millésimes.
Hors Sauternes, Coteaux du Layon et Quarts de Chaume (Chenin) délivrent une acidité plus vive et des arômes de coing, miel et tilleul. Les prix restent plus accessibles, 20–80 € pour de belles cuvées. En Jurançon, les vins moelleux à base de Petit Manseng offrent une trame acide marquée et des notes d’ananas et d’épices, 20–60 €. Ces alternatives partagent la recherche de pureté et une forte acidité, mais ne reproduisent pas la signature de Sauternes. La différence clé de Crème de Tête demeure l’absence de bois et la très longue mise tardive en cuves en ciment, donnant une fraîcheur conservée et une évolution lente. Pour un amateur de textures denses mais droites, c’est un repère. Pour celles et ceux qui recherchent une empreinte toastée ou vanillée, mieux vaut regarder des crus élevés en barriques.
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