Importations de vins étrangers : les prix français sous tension
L’afflux de vins étrangers en France accentue la pression sur les prix. Les viticulteurs dénoncent une concurrence déloyale et des seuils de rentabilité menacés.
Une filière viticole française confrontée à une pression économique brutale
L’importation massive de vins étrangers, principalement en vrac, aggrave la crise économique que traverse une partie de la viticulture française. Alors que les volumes de production nationale stagnent, voire reculent dans certaines régions, les circuits de distribution français accueillent une quantité croissante de cuvées venues d’Espagne, d’Italie, du Portugal ou encore du Chili, vendues à des tarifs largement inférieurs aux coûts de production en France.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il a franchi un seuil critique en 2024-2025. Un viticulteur du Vaucluse, appuyé par des syndicats locaux, a publiquement dénoncé l’arrivée de « cuves entières » de vin espagnol proposées à moins de 0,40 euro le litre, quand un producteur français peine à couvrir ses charges en dessous de 0,90 euro le litre pour un vin sans indication géographique.
La situation provoque des tensions sur l’ensemble de la chaîne : les prix de vente aux metteurs en marché s’effondrent, les volumes en stock s’accumulent, et les exploitants indépendants voient leurs trésoreries fragilisées. Ce déséquilibre commercial alimente un sentiment d’abandon dans de nombreuses régions viticoles françaises, en particulier dans le Languedoc, la vallée du Rhône et la Gascogne, où les surfaces plantées sont importantes mais les marges faibles.
Une dynamique d’importation en forte accélération
Une croissance continue des volumes entrants
Selon les données des douanes françaises, les importations de vin en France ont atteint 6,9 millions d’hectolitres en 2024, en hausse de 18 % par rapport à 2022. Près de 65 % de ces volumes proviennent d’Espagne, principalement sous forme de vin en vrac, destiné à être reconditionné ou assemblé sur le territoire français.
Les raisons de ce phénomène sont multiples. L’Espagne produit en moyenne 40 à 45 millions d’hectolitres par an, avec des rendements élevés, des coûts d’exploitation bien inférieurs aux standards français, et une stratégie de vente axée sur les prix planchers. Ces vins, bien que techniquement conformes, sont souvent vendus entre 0,30 et 0,45 euro le litre, rendant toute concurrence impossible pour les producteurs français.
Le phénomène touche également les vins conditionnés. En grande distribution, certaines enseignes commercialisent des bouteilles d’origine étrangère à moins de 2 euros, tout en les plaçant dans les rayons proches des productions françaises, brouillant la lisibilité pour le consommateur final.
Un impact direct sur les cours du vrac français
Conséquence immédiate : les prix du vrac français, déjà bas, ont encore chuté. Dans le Languedoc, le vin sans indication géographique se négocie aujourd’hui autour de 35 à 45 euros l’hectolitre, contre 60 à 65 euros en 2021. Même les IGP (indications géographiques protégées) comme Pays d’Oc ou Comté Tolosan sont touchées, avec des prix flirtant avec les seuils d’alerte économique.
Certaines coopératives peinent à écouler leur production, malgré des campagnes de déstockage et des rabais importants. Pour les viticulteurs, le problème n’est pas seulement celui des volumes disponibles, mais de la capacité à vendre au-dessus du prix de revient, condition sine qua non de la pérennité de l’activité.
Une pression qui fragilise les exploitations françaises
Une distorsion des coûts de production
Le différentiel de compétitivité entre les vins français et les vins importés repose en grande partie sur les charges structurelles. En France, le coût de production d’un vin de base (hors AOC) est estimé entre 0,80 et 1,10 euro par litre, selon le type d’exploitation. Ce chiffre inclut les charges sociales, les normes environnementales, les coûts de main-d’œuvre, le prix du foncier et les investissements imposés par la réglementation.
En Espagne, ce coût tombe parfois sous les 0,50 euro, grâce à des mécanismes d’exonération partielle, des salaires agricoles plus bas et une mécanisation plus poussée. À ce différentiel s’ajoute la faiblesse des contrôles sur l’étiquetage, parfois laxistes, qui autorisent des pratiques de reconditionnement peu transparentes.
Résultat : les producteurs français sont dans l’incapacité de s’aligner, sauf à vendre à perte. Et cette pression ne se limite pas aux segments d’entrée de gamme : certaines AOC mineures subissent la même concurrence, notamment celles dont les cahiers des charges autorisent des rendements élevés et une vinification standardisée.
Une situation sociale tendue dans les bassins viticoles
Dans les départements les plus exposés, les tensions montent. En Occitanie, plusieurs manifestations ont eu lieu début 2025, notamment dans l’Aude et le Gard, où des viticulteurs ont bloqué des entrepôts soupçonnés d’importer massivement.
Les syndicats dénoncent un « dumping agricole » toléré par les autorités, qui met à mal des exploitations déjà fragiles. Le nombre de cessations d’activité est en hausse : plus de 1 500 viticulteurs ont abandonné leur production entre 2022 et 2024, selon les chiffres de la MSA, dont une majorité dans des zones classées en ZRR (zones de revitalisation rurale).
Les coopératives viticoles, colonne vertébrale de nombreuses régions, doivent parfois geler les apports ou différer les paiements. La situation devient critique dans les caves où le vin de la récolte précédente n’est toujours pas écoulé.
Une réponse politique et réglementaire jugée insuffisante
Des mécanismes d’urgence ponctuels
Face à l’ampleur du problème, les pouvoirs publics ont activé plusieurs dispositifs. Une enveloppe d’aide à la distillation de crise de 160 millions d’euros a été validée pour 2024, visant à retirer du marché les excédents invendus. En parallèle, des primes à l’arrachage volontaire sont proposées, en particulier pour les surfaces en déclin de rentabilité.
Mais ces mesures sont perçues comme des rustines temporaires. Elles n’apportent pas de réponse durable à la pression sur les prix. Plusieurs organisations professionnelles réclament un encadrement plus strict de l’étiquetage, afin que les vins étrangers reconditionnés en France soient clairement identifiables, et ne puissent induire en erreur le consommateur.
D’autres appellent à une clause de sauvegarde européenne, ou à une réforme des règles commerciales communautaires, jugées trop favorables aux importations massives de vrac non valorisé.
Un repositionnement nécessaire de l’offre française
Au-delà des demandes de régulation, la filière française devra engager une réflexion stratégique. Certains bassins, trop centrés sur des volumes sans débouchés différenciants, peinent à justifier leur modèle économique. L’avenir pourrait passer par une montée en gamme contrôlée, une spécialisation territoriale plus affirmée, ou des démarches collectives de certification plus rigoureuses.
Mais ce virage demande des moyens, du temps et des débouchés. Or, dans un marché européen saturé, la concurrence par le prix reste le levier le plus utilisé, au détriment des valeurs environnementales ou culturelles pourtant promues par les appellations françaises.
