La Stratégie d’attractivité de l’œnotourisme dans le Bordelais : choix, moyens et défis
Découvrez comment le Bordelais déploie une stratégie d’attractivité oenotouristique : objectifs, moyens, budgets, résultats et comparaisons internationales.
En résumé
Le Bordelais cherche à transformer son vignoble en destination touristique pour compenser la baisse des ventes traditionnelles. Sa stratégie repose sur des investissements structurants – centres culturels, routes des vins, hébergements viticoles – et des actions de promotion ciblée à l’international. Le budget mobilisé s’appuie sur des fonds publics, des interprofessions, et des partenariats privés. L’efficacité se mesure en fréquentation touristique et en ventes directes. Comparée à d’autres régions (Napa Valley, Mendoza, Toscane), la stratégie bordelaise met davantage l’accent sur le patrimoine, la culture du vin et l’éducation, moins sur l’hospitalité de masse. Le défi : rendre plus fluide l’accès aux châteaux, renouveler l’expérience, et équilibrer rentabilité et durabilité.
La stratégie : pourquoi miser sur l’œnotourisme dans le Bordelais
La chute de consommation domestique de vin incite les vignobles bordelais à diversifier leurs revenus. L’œnotourisme devient une réponse structurelle pour valoriser le terroir, renforcer la notoriété, et capter une clientèle étrangère. Dans un contexte de pression sur les prix de gros, l’accueil direct permet une marge plus élevée par bouteille vendue.
De plus, l’attractivité touristique de Bordeaux confère un volant d’audience. En 2024, la région a accueilli près de 6 millions de visiteurs liés aux vins, plaçant Bordeaux devant Champagne (3,5 millions) pour les destinations viticoles françaises. Ces chiffres soulignent un potentiel fort à exploiter.
Le choix stratégique est aussi d’affirmer une image de qualité, de prestige et de culture : plutôt que d’ouvrir au plus grand nombre, l’objectif vise une clientèle exigeante, curieuse, prête à payer pour une expérience de vin approfondie. Le branding Bordeaux comme destination œnotouristique de premier plan s’ajoute aux stratégies de vignobles individuels.
Enfin, la stratégie sert la cohésion territoriale : les circuits entre Médoc, Saint-Émilion, Pomerol ou Sauternes forment un réseau touristique intégré, apportant des retombées économiques à l’ensemble des domaines viticoles du Bordelais, des châteaux du Bordelais et des communes environnantes.
Le déploiement : comment le Bordelais attire les visiteurs
Infrastructures de référence
Le projet le plus emblématique est la Cité du Vin de Bordeaux, ouverte en 2016. Le coût de construction s’élève à environ 81 millions d’euros hors taxes, avec un financement public majoritaire (81 %) et des apports privés (19 %). La Cité du Vin a connu plus d’un million de visiteurs dès sa première année et vise des retombées économiques, culturelles et touristiques durables. Elle joue un rôle de « porte d’entrée » dans l’univers viticole.
Parallèlement, plus de 52 circuits oenotouristiques sont proposés dans la métropole bordelaise et ses alentours, pour visiter vignobles, châteaux ou caves, facilitant l’accès pour le grand public.
Offres sur mesure et numériques
Chaque domaine viticole du Bordelais est encouragé à concevoir une expérience cohérente : visite de cave, dégustation guidée, ateliers thématiques, hébergement, restauration. L’accompagnement via la CCI de Bordeaux inclut la définition d’un scénario de visite, la scénographie, la billetterie numérique et le positionnement marketing.
L’innovation joue un rôle déterminant. Des applications mobiles, des visites en réalité virtuelle ou augmentée, des réservations en ligne, des outils de gestion de flux et de relation client sont encouragés pour rendre l’expérience plus fluide et engageante.
Financements et subventions
Les châteaux ou domaines candidats peuvent solliciter des aides publiques, interprofessionnelles et territoriales pour aménager l’accueil, se conformer aux normes d’accessibilité, ou obtenir des labels (œnotourisme durable, Vignobles & Découvertes). La CCI de Bordeaux aide au montage de dossiers financiers.
L’opération « Destination Vignobles » d’Atout France mobilise le Bordelais comme vitrine nationale et sollicite la participation de 160 tours opérateurs pour valoriser les circuits.
Les budgets et l’efficacité du dispositif
Estimations de coûts
Aménager un domaine pour l’accueil (parking, aménagement intérieur, signalétique, boutique) peut demander 100 000 à 300 000 euros ou plus, selon l’ampleur du projet. Le coût d’un circuit interdomaines ou d’un site culturel (comme la Cité du Vin) se chiffre en dizaines de millions.
Les dépenses marketing à l’international (campagnes digitales, participation à salons œnotouristiques) peuvent représenter plusieurs centaines de milliers d’euros pour les interprofessions ou les offices de tourisme.
Indicateurs de performance
La mesure de succès repose sur la fréquentation, le taux de conversion en achat, le panier moyen, la fidélisation, la prescription à l’international. Le Bordelais observe que l’œnotourisme génère des ventes directes importantes et améliore la reconnaissance de marque.
Dans une étude comparant Bordeaux, Mendoza, Portland, Florence, Mainz et Porto (186 exploitations enquêtées), on constate que Bordeaux mise davantage sur l’aspect culturel et éducatif, tandis que d’autres régions misent davantage sur l’hospitalité et l’offre holistique (hébergement-vin-expérience) pour la rentabilité.
À Bordeaux, l’emphase sur l’éducation œnologique (cours, ateliers, expositions) exploite l’avantage du rayonnement historique. En revanche, certaines régions nouvelle-monde investissent massivement dans l’hospitalité (lodges, spas, tourisme expérientiel) pour retenir davantage la clientèle.
Rendement et retour sur investissement
Le péril est d’investir des sommes lourdes sans garantie de flux constants. Certains domaines tardent à rentabiliser leur dispositif. Cependant, les châteaux les mieux positionnés constatent que 30 à 40 % de leur chiffre d’affaires vin peuvent venir de la vente directe liée à l’accueil (source presse récente).
L’œnotourisme devient un levier de résilience économique, surtout face à la baisse des ventes aux négociants ou à l’exportation. Dans un contexte où les marchés traditionnels se contractent, l’accueil du visiteur et la relation client directe gagnent en poids stratégique.
Comparaisons internationales : le Bordelais en perspective
Napa Valley (États-Unis)
Napa a construit sa réputation autour de l’œnotourisme intensif. Beaucoup de domaines proposent des dégustations réservées, des restaurants étoilés, hôtels associés, caves design. Le modèle mise sur un tourisme premium. La saturation est un risque (files, contraintes d’accès).
Contrairement à Napa, le Bordelais conserve une approche héritée du patrimoine et de l’histoire ; les châteaux restent des monuments patrimoniaux autant que des exploitations viticoles.
Mendoza (Argentine)
Mendoza a misé sur l’intégration œnotourisme-nature-aventure (randonnées, vélo dans les vignes, activités de plein air). Le coût local est plus faible, et l’expérience est très immersive. Le Bordelais peut difficilement rivaliser sur les paysages montagneux, mais peut s’inspirer de ces expériences complémentaires.
Toscane / Chianti (Italie)
La Toscane a une stratégie très consolidée : hébergement dans des relais de charme, circuits culturels, gastronomie intégrée, mise en scène de terroir. Le visiteur y consomme l’expérience complète (oeno + gastronomie + culture). Le Bordelais s’oriente vers ce modèle, mais doit composer avec des contraintes historiques et patrimoniales plus lourdes.
Analyse comparative
Dans l’étude mondiale, Bordeaux se distingue par une forte valorisation du patrimoine vinicole ; les autres régions adoptent souvent un modèle intégré d’hospitalité-expérience complète pour extraire davantage de valeur. Le Bordelais pourrait combiner les deux : maintenir son héritage culturel tout en développant des services d’hébergement ou des expériences immersives.
La contrainte majeure reste le contrôle de flux, la complexité logistique, la diversité de producteurs et la cohérence collective. Les régions viticoles plus homogènes (plus petit périmètre, moins de domaines) peuvent mettre en place une stratégie plus fluide.
Un horizon à revisiter
La stratégie d’attractivité de l’œnotourisme dans le Bordelais repose sur la valorisation patrimoniale, la cohésion territoriale, et un marketing ciblé. Pour progresser, il faudra optimiser l’accueil, diversifier les expériences, et accroître l’hébergement in situ. Le défi consiste à rendre plus accessible l’œnotourisme dans le Médoc, dans le Saint-Émilionnais, dans le Pomerol, dans le Sauternais, tout en gardant une image premium. Le Bordelais doit apprendre à faire dialoguer l’oenotourisme dans les caves du Bordelais, dans les vignobles historiques du Bordelais, sur la route des vins du Bordelais, avec un modèle économique viable et durable.
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