Le vin change d’ère : la premiumisation et la transparence 2025
La consommation recule mais les vins premium et transparents progressent. Données IWSR, climat, bio, technologies et menaces tarifaires redessinent le marché.
Le marché mondial du vin entre dans une phase de recomposition. Les volumes ont reculé à 221 millions d’hectolitres en 2023 (-2,6 %), mais la premiumisation se confirme : les segments premium-and-above sont les seuls à croître selon l’IWSR entre 2025 et 2027. En France, 22 % des surfaces viticoles sont certifiées bio, mais les conversions ralentissent et les excédents structurels (jusqu’à 100 000 hectares en trop) poussent la filière à innover. Les viticulteurs accélèrent l’adoption de drones viticoles, de robots et d’outils d’aide à la décision pour gérer stress hydrique et rendements, tandis que certains terroirs montent en altitude pour conserver fraîcheur et acidité. Côté demande, les jeunes générations privilégient l’authenticité et la transparence : l’étiquetage nutritionnel et des ingrédients (règlement 2021/2117) devient un marqueur de qualité perçue. Aux États-Unis, premier débouché des vins et spiritueux français, les tarifs douaniers américains constituent un risque majeur à court terme. 2025 s’annonce comme l’année où l’écart entre volumes en repli et valeurs en hausse se creuse, avec des gagnants sur les positionnements clairs et durables.
La réalité des volumes : un monde qui boit moins, mais choisi mieux
L’Organisation internationale de la vigne et du vin estime la consommation mondiale 2023 à 221 millions d’hectolitres (221 Mhl), soit une baisse de 2,6 % sur un an et le plus bas niveau depuis la fin des années 1990. Cette contraction s’explique par l’inflation, l’érosion du pouvoir d’achat et la montée des boissons concurrentes (bières artisanales, RTD), mais aussi par l’évolution des usages : moins souvent, mieux choisi. Dans plusieurs marchés matures, la part des consommateurs réguliers de vin parmi les 18–34 ans se réduit, quand la catégorie devient plus dépendante des 55 ans et plus. Autrement dit, le volume s’effrite, mais la valeur se maintient grâce à des prix unitaires plus élevés et à l’intérêt pour des cuvées mieux positionnées.
Dans cette configuration, la premiumisation agit comme amortisseur. D’après l’IWSR, la croissance 2025–2027 se concentrera sur les segments premium-and-above, tandis que l’entrée de gamme poursuit son repli. Entre 2021 et 2023, les ventes mondiales sur les niveaux “value et en-dessous” ont reculé sensiblement, quand les gammes supérieures résistaient ou progressaient. Le message est clair : les volumes ne sauveront pas le marché, seuls des positionnements de marque crédibles, différenciants et à forte valeur perçue le feront.
La montée de la transparence : un nouveau contrat de confiance
Depuis le 8 décembre 2023, les vins vendus dans l’Union européenne doivent afficher la déclaration nutritionnelle et la liste des ingrédients, directement sur l’étiquette ou via un QR code conforme. Ce basculement réglementaire (UE 2021/2117) rebat les cartes. Il impose des systèmes d’information rigoureux mais répond à une attente croissante des consommateurs : savoir ce qu’ils boivent. En 2025, l’étiquetage électronique devient un standard de marché, au-delà de la conformité, et nourrit trois dynamiques :
- Clarification des styles : sucre résiduel, additifs œnologiques et intrants deviennent lisibles, ce qui valorise les pratiques sobres et la traçabilité.
- Différenciation par l’empreinte environnementale : bouteilles plus légères (verre allégé à 350–420 g), indicateurs d’empreinte carbone, mention des pratiques agroécologiques (couvert végétal, réduction d’IFT).
- Récit d’origine : le QR code ouvre sur l’histoire de la parcelle, des levures, des assemblages, renforçant la préférence de marque.
Cette transparence alimente la premiumisation : la confiance se monnaye, surtout auprès des jeunes adultes qui arbitrent entre qualité, santé perçue et responsabilité.
La France en tension : bio, excédents et adaptation accélérée
La France reste locomotive, mais confrontée à des paradoxes. D’un côté, 22 % des vignobles sont certifiés bio, part très supérieure à la moyenne agricole nationale. De l’autre, les conversions marquent le pas, avec un reflux net des surfaces en conversion en 2023–2024 et un solde d’entrées/sorties fragile (340 abandons recensés à fin septembre 2024, compensés par des nouvelles entrées, mais en ralentissement). À cela s’ajoutent des excédents structurels : des responsables de filière estiment qu’il existe environ 100 000 hectares en trop à l’échelle nationale, nécessitant arrachages et distillations de crise pour assainir le marché.
Ces tensions accélèrent l’innovation : généralisation du monitoring hydrique parcellaire, pulvérisation de précision, télédétection. En Champagne, Bourgogne ou sur le pourtour méditerranéen, l’usage de drones viticoles (cartographies NDVI/EVI, thermographie) améliore les décisions d’irrigation et de protection. Des robots enjambeurs 100 % électriques, comme Bakus (VitiBot) ou TED (Naïo), réalisent désherbage mécanique et travaux sous le rang, réduisant les intrants et la pénibilité. Côté vendanges, les machines de récolte couplées à la vision embarquée et à l’IA progressent dans la sélection de la matière première. Enfin, la relocalisation “en altitude” gagne du terrain dans les zones les plus chaudes pour maintenir fraîcheur, pH et équilibre alcool/acidité, avec des essais entre 500 et 1 000 mètres selon les massifs.
La carte climatique se redessine : produire plus haut, plus au nord
Le réchauffement recompose la géographie du vin. Les projections indiquent une contraction des zones méridionales sensibles à la sécheresse et aux pics de chaleur, au profit de régions septentrionales ou d’altitude. La Méditerranée et certaines vallées intérieures sont sous pression ; à l’inverse, le nord de la France, l’Europe du Nord, l’Oregon ou des zones d’Amérique du Nord jusque-là marginales gagnent en potentiel. Les leviers d’adaptation deviennent stratégiques : sélection clonale résistante à la chaleur, ajustement des dates de taille (retards de débourrement), ombrage, irrigation de précision, filets anti-grêle, sols couverts. Les domaines qui investissent dans ces axes, et le démontrent via des indicateurs vérifiables, renforcent leur crédibilité sur les marchés premium.
La demande change : seniors fidèles, jeunes volatils
Sociologiquement, le vin reste fort chez les 55+ (fréquence et panier moyen), tandis que la génération LDA-Gen Z combine curiosité et volatilité. Elle compare le vin à des alternatives jugées pratiques et parfois plus “saines” (RTD à faible teneur en alcool, cocktails prêts à boire), et réclame formats nomades (187 ml, canettes de qualité), styles digestes (12–12,5 % vol.), et promesses claires (bio, bas intrants, vegan, sans sucre ajouté). Les gagnants 2025 sont ceux qui articulent goût, transparence et usage : un vin identifiable, bon à boire, et lisible en 5 secondes sur un smartphone. Sur le plan SEO et du marketing digital, des requêtes telles que “vin durable”, “étiquette nutritionnelle vin”, “origine et traçabilité vin”, “vins premium France” ou “vins faibles en alcool” progressent avec un trafic de recherche croissant, notamment aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni.
Les États-Unis, eldorado fragile : croissance de valeur et risque tarifaire
Les États-Unis demeurent le premier marché d’export pour les vins et spiritueux français, avec une progression de la valeur en 2024. Mais le climat commercial de 2025 est instable : annonces et menaces de tarifs douaniers américains sur les alcool européens créent des à-coups logistiques et financiers. Effets attendus : surcoûts immédiats au dédouanement (cash-flow tendu pour les importateurs), reports de commandes, reconstitution des stocks en amont, répercussions prix au détail. À court terme, l’impact peut atteindre des baisses de 15–20 % des volumes expédiés sur certaines catégories si des droits additionnels durables s’appliquent. Les Maisons premium à forte désirabilité et portefeuille multi-origines amortissent mieux le choc ; les opérateurs mono-marché s’exposent davantage.
La technologie comme levier de valeur : du cep à l’étiquette
La filière investit sur toute la chaîne :
— A la vigne : capteurs d’humidité du sol, stations météo connectées, drones et robots pour réduire l’IFT et la consommation d’énergie, optimiser les passages (moins de CO₂ par hectare).
— Au chai : tri optique, levures sélectionnées faibles productrices d’alcool, gestion de l’oxygène dissous, suivis analytiques en temps réel.
— Au marché : QR codes d’étiquetage 2021/2117 avec pages produit multilingues, données nutritionnelles (pour 100 ml), liste d’ingrédients, empreinte carbone par bouteille (kg CO₂e), et storytelling parcellaire. L’objectif n’est plus de “dire qu’on est durable”, mais de prouver par des chiffres auditables.
Les signaux prix : valeur en hausse, formats flexibles
Avec des coûts de production et de distribution sous tension (verre, énergie, transports), les prix départ ont progressé, mais la prime consentie par l’acheteur final se concentre sur des promesses lisibles. Les unités de besoin évoluent : montée des cuvées parcelles, micro-lots, millésimes tardifs positionnés, mais aussi démocratisation de formats 375 ml et 187 ml pour l’essai et la modération. Les cartes des restaurants et cavistes basculent vers des sélections courtes, orientées vins premium, terroirs clairement identifiés, et une pédagogie simple : profil aromatique, usage (apéritif, gastronomie), température de service (8–10 °C pour blancs vifs, 14–16 °C pour rouges légers), garde indicative.
Les pistes d’action 2025 pour les producteurs et marques
- Clarifier le positionnement : segmenter l’offre entre cœur de gamme et premium-and-above, avec des prix cohérents et une identité forte.
- Rendre visible la transparence : QR code complet, ingrédients, nutrition, engagements environnementaux mesurés (verre allégé, énergie, eau/hl).
- Investir dans l’adaptation : drones viticoles, robotique, irrigation de précision, essais en altitude quand pertinent, variétés et clones résilients.
- Diversifier les marchés : ne pas dépendre d’un seul pays ; travailler le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Canada, l’Asie du Nord-Est, tout en surveillant les risques tarifaires US.
- Réenchanter l’usage : formats individuels, cuvées plus digestes, pédagogie claire et expériences live (dégustations, oenotourisme bas carbone).
La trajectoire 2025–2027 s’annonce exigeante : la valeur se crée au croisement d’une production résiliente au climat, d’une transparence totale et d’un récit crédible. Les vins qui cochent ces cases continueront d’avancer, même dans un monde qui boit un peu moins.

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