Le vin rouge recule, la montée en gamme s’accélère
La consommation de vin chute à un niveau historique. Le vin rouge perd du terrain, tandis que les jeunes favorisent les cuvées premium et plus durables.
Un changement générationnel dans la consommation de vin
Le marché mondial du vin traverse une transformation profonde. En 2024, la consommation a atteint son niveau le plus bas depuis plus de 60 ans, selon les données de l’OIV. À l’échelle planétaire, les volumes reculent, et les préférences s’inversent : les vins blancs et rosés dépassent désormais les rouges, qui ne représentent plus que 43 % de la consommation.
Cette évolution n’est ni passagère ni marginale. Elle reflète des mutations culturelles, nutritionnelles et sociétales durables. Les générations Millennial et Z, devenues centrales pour les producteurs, imposent de nouveaux critères d’achat : moindre teneur en alcool, production responsable, transparence, et surtout montée en gamme. Le vin n’est plus un produit de table quotidien. Il devient un produit d’arbitrage, choisi avec soin, bu moins souvent, mais mieux valorisé.
Ce recul global des volumes se conjugue avec une baisse drastique des ventes de vins rouges classiques, surtout dans les segments d’entrée de gamme. En parallèle, les vins blancs secs, les rosés frais, les cuvées premium ou les options désalcoolisées gagnent du terrain. Pour de nombreux opérateurs, il ne s’agit plus seulement d’adapter la communication. Il faut réinventer le positionnement, repenser les gammes, et s’aligner sur des critères de consommation radicalement différents de ceux des années 1990 ou 2000.
Un recul du vin rouge sur fond de désintérêt générationnel
Le recul de la consommation de vin rouge est désormais constaté sur tous les marchés matures. Aux États-Unis, les données Nielsen indiquent une baisse de 12 % sur trois ans pour les rouges entre 2021 et 2024. En Allemagne, la part de marché du vin rouge est tombée sous 38 %, contre 51 % au début des années 2000. En France, pays historiquement attaché à ce type de vin, les ventes en grande distribution ont chuté de -18 % en volume sur les deux dernières campagnes.
Le profil organoleptique du vin rouge joue désormais contre lui : structure tannique marquée, degrés d’alcool élevés, bouche dense, des caractéristiques perçues comme trop lourdes par une nouvelle clientèle. Les jeunes consommateurs préfèrent des vins plus digestes, moins corsés, voire totalement dépourvus d’alcool. Ces préférences orientent massivement vers les blancs secs, les rosés, ou les pétillants à faible pression.
Certaines régions viticoles souffrent de cette désaffection. Le Bordelais, centré historiquement sur le rouge, a vu son vignoble reculer de plus de 5 000 hectares en dix ans. Des appellations comme Cahors, Madiran ou certaines AOC du Languedoc peinent à écouler leurs stocks malgré une politique de prix agressive. Les rosés, en revanche, maintiennent une stabilité remarquable, notamment en Provence, où les volumes restent soutenus grâce à l’export et à une image associée à des codes de consommation contemporaine : légèreté, apéritif, instantanéité.
Face à ce désintérêt, certains producteurs de rouges adaptent leur style. La macération est raccourcie, les extractions sont plus douces, les élevages moins boisés. Le résultat est une nouvelle typologie de rouge, plus souple, plus accessible, avec des degrés inférieurs à 13 % vol. Cette approche séduit certaines cibles, mais ne compense pas la perte de volume structurelle. Le vin rouge devient un produit de niche ou d’initié, alors qu’il représentait encore 65 % de la consommation totale en 1990.
Une montée en gamme structurelle portée par la jeunesse urbaine
Dans un contexte de baisse générale des volumes, la montée en gamme devient la principale variable de croissance. Le segment premium – défini comme les vins vendus à plus de 15 euros la bouteille en boutique – progresse dans tous les pays de l’OCDE. En France, il représente désormais 23 % des ventes en valeur, contre 16 % en 2015. Aux États-Unis, cette part atteint 27 %, avec une hausse continue du ticket moyen d’achat chez les moins de 40 ans.
Cette montée en gamme n’est pas uniquement une question de prix. Elle repose sur des critères de production, d’origine et de valeurs perçues. Les consommateurs Millennial et Gen Z recherchent des cuvées précises, produites en petites quantités, avec des engagements lisibles sur le plan environnemental ou social. Ils fuient les vins anonymes ou issus de productions industrielles, perçus comme banalisés, voire douteux.
Le format de la vente évolue également. La boutique caviste ou l’achat en ligne via des plateformes spécialisées prend le pas sur la grande distribution. Le storytelling joue un rôle majeur : provenance identifiable, nom du vigneron, pratiques culturales explicitées, labels (bio, biodynamie, vin nature), autant de critères qui orientent le choix. L’étiquette devient un outil narratif et non plus simplement informatif.
Les producteurs qui réussissent à capter cette demande sont ceux qui acceptent de réduire leur offre, de limiter les volumes, et de valoriser chaque cuvée comme un objet unique. Le vin devient une expérience ponctuelle, contextualisée, et intégrée dans des usages sociaux (soirées entre amis, apéritifs, accords plats-vins). L’achat d’un vin n’est plus spontané ni automatique, il est réfléchi.
Cette segmentation accrue creuse l’écart entre les extrémités du marché. Le segment bas prix – vins vendus à moins de 4 euros en rayon – s’effondre. Il ne survit que dans les marchés captifs (restauration collective, hard discount, vente en vrac). En revanche, le segment 15–40 euros connaît une croissance de +8 % par an en valeur sur la période 2021–2024, selon les données de Wine Intelligence.

Une demande croissante pour des vins alternatifs et responsables
Les jeunes générations ne consomment pas seulement moins, elles consomment autrement. La recherche de produits à faible teneur en alcool, voire sans alcool, devient un axe stratégique majeur pour de nombreux acteurs. En 2024, le marché mondial des vins « no/low alcohol » a dépassé les 1,2 milliard d’euros, avec des croissances à deux chiffres en Allemagne, au Royaume-Uni et en Corée du Sud.
Cette évolution est motivée par plusieurs facteurs : conscience santé, contrôle de l’image publique (réseaux sociaux), pratiques sportives, ou simplement envie de modération. Le vin sans alcool, longtemps cantonné à des produits techniques sans relief, connaît une refonte. Des maisons comme Le Petit Béret ou Oddbird investissent dans des procédés de désalcoolisation qualitatifs, maintenant l’aromatique du vin tout en retirant l’éthanol.
En parallèle, la durabilité environnementale devient une exigence de base. Les pratiques agricoles doivent intégrer la réduction des intrants, la gestion de l’eau, le recyclage des contenants, et parfois même la traçabilité carbone. Certains consommateurs choisissent leurs vins selon leur empreinte écologique, et sont prêts à payer plus pour des cuvées issues de domaines à énergie solaire, à biodiversité intégrée, ou à logistique neutre en carbone.
Les labels classiques (AB, Demeter, HVE) ne suffisent plus toujours. Il faut contextualiser. Les marques doivent expliquer leurs choix : pourquoi ce cépage, pourquoi cette conduite de vigne, pourquoi ce type de bouchon. Le storytelling devient stratégique. Sans cette narration claire, les jeunes publics se détournent.
Le défi réside donc dans la cohérence. Un vin « bio » produit à 500 000 bouteilles par an et exporté par conteneur perd toute crédibilité. Le modèle attendu est court, traçable, crédible. Le vin n’échappe pas à la logique des produits alimentaires engagés : il doit prouver sa différence, et non plus simplement la proclamer.