Le vin sous tension : inflation et stocks en baisse, 2025
Inflation, coûts logistiques et faibles récoltes en Europe pèsent sur le vin en vrac et embouteillé. Seule exception : la Nouvelle-Zélande, qui écoule ses stocks.
En résumé
Le marché mondial du vin entre dans 2025 avec une pression des coûts et une demande atone. L’inflation aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro rogne le pouvoir d’achat et ralentit les ventes. L’offre se tend après plusieurs récoltes modestes en Europe, tandis que les stocks se normalisent, voire reculent, à la faveur de mesures publiques et de moindres mises en marché. Les prix en vrac restent soutenus en Italie et en France, et se sont d’abord tendus en Espagne avant un repli estival. Les filières embouteillées subissent le prix du verre, la fiscalité et un fret maritime volatil. Exception notable : le Sauvignon Blanc de Marlborough, où l’abondance de volumes 2024-2025 maintient les prix sous pression. Les acheteurs européens abordent la campagne d’achat 2025 avec prudence : arbitrages plus serrés, contrats plus courts, calibrage des assortiments et attention accrue au taux de change et aux coûts amont.
Le contexte macroéconomique qui comprime la demande
La contrainte du coût de la vie
L’inflation reste un marqueur en 2025. Aux États-Unis, l’indice des prix affiche 2,9 % sur un an en août. Au Royaume-Uni, le CPI ressort à 3,8 % (4,1 % pour le CPIH). Dans la zone euro, l’IPCH est à 2,0 % en août. Ces niveaux, encore supérieurs à la cible de 2 % pour certains agrégats, freinent les arbitrages loisirs. Effet direct pour le vin embouteillé : montée des premiers prix, recherche de promotions, trading-down sur les segments généralistes, surtout en GMS.
La consommation mondiale en retrait
La consommation mondiale de vin a reculé en 2023 et 2024, pour atteindre environ 214 à 221 millions d’hectolitres selon les millésimes, soit un plancher historique depuis la fin des années 1990. Les repli(s) sont marqués en Chine, mais aussi aux États-Unis et en Europe occidentale. Le commerce mondial reste robuste en valeur grâce à un prix moyen à l’export d’environ 3,60 €/L, mais les volumes cèdent. Les opérateurs ajustent les plans d’embouteillage, limitent les références à faible rotation et étalent les commandes.
L’offre sous tension et la réduction des stocks
Des récoltes européennes modestes
Trois campagnes récentes ont été inférieures aux moyennes décennales. En 2024, la production mondiale a touché un bas de cycle (environ 226 mhl), avec une Europe pénalisée par la sécheresse, les maladies et des surfaces en recul. En France, plusieurs bassins (Bordeaux, Languedoc, Beaujolais) ont vu leur potentiel affecté ; en Espagne et en Italie, les à-coups climatiques ont pesé sur les volumes et l’équilibre variétal.
Les ajustements de stocks
Destillations de crise, arrêts d’arrachage-replantation, et programmes d’arrachage ciblés (notamment à Bordeaux) ont contribué à assainir des segments sur-offerts en entrée de gamme rouge. Les stocks de vrac “standard” se sont contractés dans plusieurs bassins, ce qui soutient les prix de base en blanc neutre à usage d’assemblage, ou en vins mousse base (Ugni Blanc, Glera). La conséquence pour 2025 : moins d’opportunités opportunistes à très bas prix en Europe continentale, hors cas spécifiques.
Les prix en vrac en Europe : un équilibre fragile
Les fourchettes observées
En Italie, les génériques blancs 2024 (10,5-13 % vol) se situent autour de 0,65-0,82 €/L ex-chai, avec stabilité sur les DOC techniques et des tensions localisées en Trebbiano IGT selon l’état des stocks. En France, les blancs génériques 2024 s’affichent vers 0,70-0,87 €/L, avec des IGP Chardonnay autour de 1,16-1,34 €/L. En Espagne, le premier semestre a vu des hausses sur blancs et rouges génériques ; au printemps, des cotations au-dessus de 50 €/hl (0,50 €/L) étaient fréquentes, avant un reflux de 25-30 % à l’été pour relancer les transactions. Les acheteurs notent cependant une négociabilité conditionnée au volume et au degré final.
Les moteurs de court terme
Trois forces s’entrecroisent : une offre européenne contenue par les récoltes 2023-2024, un coût de financement encore élevé pour les metteurs en marché, et une demande aval plus sélective. Résultat : des spreads plus larges entre lots techniques recherchés (blancs acides pour mousse, profils variétaux nets) et lots standards. Les prix en vrac résistent mieux que le conditionné d’entrée de gamme, où les détaillants pressent sur les marges.
Le conditionné face aux coûts de packaging et de logistique
Le renchérissement structurel des intrants
Le prix du verre a bondi depuis 2022 sous l’effet de l’énergie. Malgré une détente énergétique partielle, le niveau de prix reste supérieur à 2019. Au Royaume-Uni, l’extension EPR spécifique au verre ajoute environ 9 pence par bouteille. Côté fiscalité, la refonte des droits britanniques en 2025 renchérit les vins non tirés à la pression, avec une sensibilité accrue au degré (ex. +0,54 £ sur une bouteille à 14,5 % vol). Les bouchons et cartons ont aussi progressé, alimentant un prix de revient “sortie cave” plus ferme.
Le transport instable
Le fret maritime demeure volatil. La crise de la mer Rouge et les reroutings via le cap de Bonne-Espérance ont allongé les temps de transit, gonflé les primes d’assurance et durci les GRIs. Les taux spot Asie-Europe ont reflué par rapport aux pics 2024, mais les hausses ponctuelles de 400-500 $/FEU restent possibles selon la saison et la capacité. Pour les expéditeurs de vin, l’équation devient : planification plus fine des bookings, diversification des ports d’embarquement, et arbitrage entre vrac en flexitank et vin fini en palette.
L’exception néo-zélandaise : un Marlborough sous pression d’offre
Des volumes et des stocks qui pèsent
La Nouvelle-Zélande se distingue. Les reports 2023-2024 et un 2025 attendu généreux ont maintenu une offre abondante en Sauvignon Blanc de Marlborough. Les prix vrac se sont assouplis pour écouler les GI Marlborough et New Zealand Sauvignon Blanc. En amont, le prix du raisin 2025 est indiqué autour de 1 800 NZD/tonne (contre 2 100 NZD en 2024 et 2 400 NZD en 2023), signe d’un rééquilibrage. Au Royaume-Uni, la catégorie conserve des prix publics élevés, mais le vrac consent des rabais pour préserver les parts de marché.
Les implications pour les acheteurs
Pour les conditionneurs européens, cette exception crée une fenêtre tactique : sécuriser des volumes de Sauvignon “signature” à un coût matière compétitif, tout en lissant la pression sur les blancs variétaux européens. Attention toutefois aux disponibilités logistiques, aux délais navire et à la gestion du risque de change NZD/EUR.
La campagne d’achat 2025 : modes opératoires sous contrainte
Les arbitrages des metteurs en marché
La campagne d’achat 2025 s’ouvre sur trois priorités. Premièrement, sécuriser les bases techniques (acidité, degré, fraîcheur) pour les segments sensibles : mousse, rosé clair, blancs vifs. Deuxièmement, raccourcir la durée des contrats et introduire des clauses d’ajustement liées aux intrants (verre, fret) afin de partager le risque. Troisièmement, travailler le mix par formats : davantage de BIB 3 L et 5 L sur les marchés prix-sensibles, et recours accru aux lignes de mise locales pour limiter le CO₂ et les coûts.
Les pistes d’optimisation
Le recours au vrac longue distance (flexitanks de 24 000 L) reste pertinent pour les marchés lointains, en particulier sur les segments entrée et milieu de gamme. L’embouteillage de proximité réduit le coût “verre + fret” unitaire et facilite l’adaptation d’étiquetage. Dans l’Union européenne, la révision des plans d’aide et la promotion ciblée offrent des cofinancements sur l’œnotourisme et le marketing export ; à intégrer pour soutenir la demande plutôt que d’amplifier la guerre des prix.
Les différences régionales : où se situe la pression maximale ?
L’Europe continentale
La raréfaction relative de l’offre en vrac standard soutient les cours de base, surtout en blanc technique. L’Espagne, après un pic début 2025, a vu un ajustement de prix pour relancer les flux. L’Italie reste ferme sur les IGT et DOC techniques ; la France ajuste par qualité et par bassin, avec une hiérarchie plus marquée entre génériques et variétaux.
L’Amérique et l’Asie-Pacifique
Aux États-Unis, la modération de la demande et la désinflation encore incomplète limitent les hausses tarifaires. En Océanie, l’Australie se redresse lentement, tandis que la Nouvelle-Zélande joue le rôle “tampon” mondial en blanc aromatique. En Asie, la Chine n’a pas retrouvé ses volumes d’avant 2018, ce qui réduit l’aspiration des excédents.
Les repères chiffrés utiles aux acheteurs
- Production mondiale 2024 : environ 225,8 mhl ; consommation 2024 : ≈ 214,2 mhl.
- Prix moyen à l’export mondial 2024 : ≈ 3,60 €/L.
- Europe : récoltes 2023-2024 sous moyennes, surfaces en recul dans certains bassins (programmes d’arrachage).
- Vrac générique 2025 (ordres de grandeur ex-chai) : France blanc 0,70-0,87 €/L ; Italie blanc 0,65-0,82 €/L ; Espagne blanc souvent >0,50 €/L début d’année, puis repli estival.
- Conditionné : EPR verre UK ≈ +0,09 £/bouteille ; droits UK plus progressifs au degré sur non-draught ; verre et bouchon durables plus coûteux qu’en 2019.
- Fret : forte variabilité Asie-Europe ; pics 2024 retombés mais hausses ponctuelles possibles selon GRIs et congestions.
Une perspective pour 2025
Le rééquilibrage offre-demande est avancé sur les rouges d’entrée de gamme en Europe, mais encore incertain sur les blancs techniques. Les stocks mondiaux se normalisent, sans excès structurel hors cas particuliers. La vigilance porte sur trois leviers : sensibilité des ménages à la pression du coût de la vie, coûts d’embouteillage et de transport, et exposition au risque climatique. L’exception néo-zélandaise offre un respirateur temporaire aux acheteurs de blancs aromatiques. La question centrale reste ouverte : la valeur peut-elle être défendue sans casser les volumes, alors que l’on bascule d’un cycle de rareté climatique à un cycle d’austérité du consommateur ?
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