Récolte 2025 à 36,2 Mhl: la viticulture française touche un plancher historique. Arrachage, prix en chute, territoires à deux vitesses.

Le service statistique du ministère de l’Agriculture, Agreste, a confirmé le 18 décembre 2025 une récolte française limitée à 36,2 millions d’hectolitres. Le chiffre frappe par son ampleur. Il place la production parmi les plus faibles depuis plus d’un siècle. Longtemps expliquée par des aléas climatiques successifs, la contraction apparaît désormais structurelle. Les surfaces se réduisent, les rendements plafonnent et la demande se déplace. Le vignoble bordelais incarne cette rupture avec près de 8 000 hectares arrachés, ciblant surtout les vins rouges d’entrée de gamme, dont les prix se sont effondrés. À l’opposé, la Bourgogne et la Champagne progressent légèrement, portées par des marchés solvables et des stratégies de valeur. Cette divergence dessine une France viticole à deux vitesses, où la question n’est plus de produire davantage, mais de produire autrement, au risque de voir disparaître des pans entiers du vignoble historique.

Le niveau de production qui marque une rupture historique

Avec 36,2 millions d’hectolitres, la récolte 2025 rompt avec les standards des décennies passées. Pour mémoire, la France oscillait encore autour de 45 à 50 millions d’hectolitres au début des années 2000. La baisse n’est pas marginale. Elle s’inscrit dans une trajectoire longue. Plusieurs millésimes déficitaires se sont succédé depuis 2017, sous l’effet combiné du gel printanier, de la sécheresse, des maladies de la vigne et d’épisodes de grêle plus fréquents. Mais le millésime 2025 franchit un seuil symbolique. Il ne s’agit plus d’un accident.

Les données régionales confirment cette rupture. Les bassins historiquement volumineux, notamment dans le Sud-Ouest et le Bordelais, enregistrent des replis durables. À l’inverse, les régions à forte valeur ajoutée amortissent mieux les chocs. Le constat est clair: la production française ne s’effondre pas partout. Elle se recompose.

La fin de l’illusion conjoncturelle

Pendant plusieurs années, la profession a espéré un retour à la normale après chaque millésime difficile. Cette lecture n’est plus tenable. Les facteurs climatiques sont devenus récurrents. Les coûts de production augmentent. La main-d’œuvre se raréfie. Les attentes des consommateurs évoluent. La baisse actuelle est structurelle, car elle s’appuie sur des décisions irréversibles: l’arrachage, la reconversion des exploitations, l’abandon pur et simple de certaines parcelles.

Le recul des volumes ne choque plus seulement par son ampleur, mais par son acceptation politique et professionnelle. L’arrachage, longtemps tabou, est désormais assumé comme un outil de régulation. Ce changement de discours marque un tournant profond dans la gestion du vignoble français.

L’arrachage comme réponse assumée à la surproduction

Le cas du vignoble bordelais est emblématique. Confronté à une surproduction chronique de vins rouges d’entrée de gamme, le bassin a vu les prix du vrac chuter à des niveaux incompatibles avec la survie économique des exploitations. Dans certains cas, le prix payé au producteur ne couvrait même plus les coûts directs.

Face à cette impasse, près de 8 000 hectares ont été arrachés. Ce chiffre est sans précédent à l’échelle régionale. Il ne s’agit pas d’un ajustement marginal, mais d’une réduction massive du potentiel de production. L’objectif est double: rééquilibrer l’offre et enrayer l’effondrement des prix. Mais l’arrachage a un coût social et culturel élevé. Il signifie la disparition de vignes parfois plantées depuis plusieurs générations.

Cette stratégie révèle une réalité brutale: produire plus n’est plus une garantie de survie. La compétitivité ne se joue plus sur le volume, mais sur la capacité à vendre au bon prix.

Le vignoble bordelais face à une mutation forcée

Bordeaux, longtemps symbole de puissance viticole, se retrouve au cœur de la tempête. Le bassin a bâti son modèle sur des volumes importants et une segmentation large. Ce modèle est aujourd’hui fragilisé. La consommation de vins rouges baisse structurellement en France et sur plusieurs marchés européens. Les vins d’entrée de gamme subissent la concurrence des pays du Nouveau Monde et des boissons alternatives.

L’arrachage ouvre une phase de mutation. Certains exploitants se tournent vers des cépages plus résistants. D’autres diversifient leurs activités, entre œnotourisme, cultures alternatives ou replantations ciblées sur des segments plus qualitatifs. Mais cette transition est lente et incertaine. Tous ne pourront pas s’adapter. Le vignoble bordelais entre dans une période de sélection économique assumée.

La Bourgogne et la Champagne, gagnantes d’un marché polarisé

À l’opposé, la Bourgogne et la Champagne affichent une légère progression de leur production en 2025. Cette évolution, modeste en volume, est significative par sa portée économique. Ces régions bénéficient d’une demande mondiale soutenue, de prix élevés et d’une image forte. Leurs rendements restent encadrés, ce qui limite les excès.

En Bourgogne, la rareté est devenue un moteur de valorisation. En Champagne, la gestion collective des volumes permet d’ajuster l’offre sans casser les prix. Ces modèles montrent que la baisse globale de la production française ne pénalise pas tous les territoires. Elle accentue au contraire les écarts de valeur entre bassins.

La France viticole se fracture. D’un côté, des régions en tension, contraintes de réduire leurs surfaces pour survivre. De l’autre, des appellations capables de maintenir, voire d’améliorer, leur rentabilité malgré des volumes limités.

Une France viticole à deux vitesses

La récolte 2025 met en lumière une réalité longtemps masquée par les chiffres globaux. La viticulture française n’évolue plus comme un bloc homogène. Elle se segmente. Les territoires orientés vers la valeur résistent. Ceux dépendants du volume souffrent.

Cette fracture pose des questions politiques. Les aides publiques peuvent-elles continuer à soutenir des modèles structurellement déficitaires ? L’arrachage doit-il devenir un outil permanent de régulation ? Et surtout, quelle place accorder aux vins accessibles dans un pays où la consommation baisse mais ne disparaît pas ?

La réponse n’est pas simple. Mais l’inaction n’est plus une option. La récolte 2025 agit comme un révélateur brutal.

Les conséquences économiques pour les exploitations

Pour les exploitants, la baisse de production n’est pas toujours synonyme de baisse de revenus. Dans les régions valorisées, des volumes moindres peuvent être compensés par des prix élevés. Ailleurs, la contraction des surfaces est vécue comme une nécessité douloureuse. L’arrachage réduit le potentiel futur et pèse sur la transmission des exploitations.

Les coopératives sont également touchées. Moins de volumes signifie des outils parfois surdimensionnés. Certaines devront fusionner, se restructurer ou disparaître. L’impact se diffuse à l’ensemble de la filière, du négoce à la logistique.

Les enjeux environnementaux et climatiques en toile de fond

La baisse structurelle de la production pose aussi la question de l’adaptation climatique. Des rendements plus faibles peuvent réduire la pression sur les ressources en eau. Mais l’arrachage massif modifie les paysages et les équilibres locaux. Le choix des cépages, l’orientation des parcelles et la gestion des sols deviennent centraux.

La viticulture française entre dans une phase où l’adaptation prime sur la performance brute. Produire moins, mais mieux, devient un impératif économique autant qu’environnemental.

Une filière contrainte de redéfinir ses priorités

La récolte 2025 n’est pas une parenthèse. Elle oblige la filière à revoir ses fondamentaux. Le débat ne porte plus sur un retour hypothétique à des volumes élevés. Il porte sur la capacité à créer de la valeur dans un contexte de consommation en mutation.

Les choix opérés aujourd’hui engageront la viticulture française pour plusieurs décennies. L’arrachage massif, la polarisation régionale et la recherche de nouveaux équilibres annoncent une transformation profonde. La France reste un géant du vin par son image et son savoir-faire. Mais sa force future dépendra moins de ses hectolitres que de sa lucidité stratégique.

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